Transport et logistique : la carte des flux redessinée ?

Le 24/01/2024 à 15:55 par La rédaction

Le secteur du transport et de la logistique aura rarement été aussi stratégique. Entre le Brexit, les plans de sortie de flotte, la flambée du gazole et surtout une consommation française en berne, le secteur logistique se retrouve au cœur de la nécessité de se réinventer pour la filière.

 

« Pour un poissonnier de Haute-Savoie, commander certaines espèces est devenu impossible. Quand il ajoute le prix du produit et le transport routier, il ne peut plus marger. À ce prix-là, avec un consommateur qui fait attention à son pouvoir d’achat, même sans marger, il boit le bouillon », résume un opérateur. « Je fais plusieurs factures mais fais livrer à une seule adresse pour diminuer les frais. À mes clients de se regrouper pour gérer les derniers kilomètres », ajoute un autre.

Les prix du transport routier – qui représenteraient 20 à 25 % du prix final – flambent (même s’il ne nous a pas été possible d’obtenir des chiffres précis) et le ton se durcit autour des tarifs (lire dans PDM no 222, p. 68). Et ce dans un contexte particulièrement complexe où interviennent de surcroît les remboursements des PGE (prêts garantis par l’État), souscrits pendant la crise sanitaire.

Avec une baisse de 8 % sur la consommation de poisson frais par les ménages entre le dernier trimestre 2021 et le dernier trimestre 2022 (d’après Kantar Worldpanel pour France AgriMer), l’aval de la filière est déstabilisé. Et avec un indice de prix à la production primaire qui a plus que doublé depuis 2015 (cf. France AgriMer, d’après l’Insee et LEMNA université de Nantes – Conseil spécialisé du 27/09/23), l’augmentation du poste transport devient particulièrement compliquée à digérer.

Moins de volumes

En amont, faute de poisson pour cause de Brexit et… faute de marché, la production s’effondre. Sur les huit premiers mois de l’année, les volumes de premières ventes ont chuté de 6 500 tonnes dans les criées bretonnes et de la façade atlantique et de 16 000 tonnes au total hors criée par rapport à la même période l’année dernière. (d’après France AgriMer, – Conseil spécialisé du 27/09/23).

« Il y a moins de ressources, moins de volumes. Mais notre métier de “cueillette” reste le même. Le camion passe au port qu’il y ait une caisse à collecter ou une semi-remorque complète à charger, résume Laurent Martin, directeur de la Business Unit Seafood de Stef. Nous sommes bien conscients des difficultés de la filière. Ce qui n’est pas pêché n’est pas vendu et donc pas transporté, ajoute-t-il. Mais nous n’avons pas modifié nos circuits, car il s’agit pour nous de maintenir la promesse client. Ce contexte met tout le monde en tension. Quand nous engageons un camion, la part de charges fixes est la même, qu’il soit plein ou qu’il ne transporte qu’une seule caisse. Et cette part de charges fixes est actuellement juste phénoménale : l’équilibre économique du transport routier est toujours complexe. Nos clients en sont conscients, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons trouver avec eux, collectivement, des solutions. Ils ont besoin de nous pour être transportés ; nous avons besoin d’eux pour transporter. » Groupage, nouvelles plateformes et partenariat avec Ifco pour la gestion des caisses marées (à lire prochainement dans les dossiers de PDM) sont quelques-unes des initiatives de l’entreprise pour s’adapter à la transformation de la filière. En revanche, le groupage avec d’autres produits agroalimentaires paraît plus compliqué : une question de température en frais mais surtout d’obligation de livraison en 24 heures que les autres filières ont rarement.

Le Brexit conforte la façade nord

L’avènement du Brexit faisait craindre le pire pour Boulogne. Mais la sécession anglaise a conforté les Hauts-de-France et Le Havre dans leur rôle de portes d’entrée de l’Union européenne pour les produits alimentaires depuis la Grande-Bretagne. Initialement, Boris Johnson imaginait développer des ports francs (dont Grimsby) mais l’Union européenne ne l’a pas entendu de cette oreille. Et sans imposer de droits de douanes, elle a obligé les marchandises britanniques à se soumettre à des vérifications douanières et de conformité. Dans son rapport sur la frontière britannique après la sortie de l’UE, le National Audit Office estimait que l’exportation de produits alimentaires du Royaume-Uni vers l’UE pouvait nécessiter plus de 20 étapes différentes, là où il n’y en avait que 2 précédemment (d’après le rapport de la Cour des comptes sur le Brexit, juin 2023). Une formalisation de la qualité sanitaire avec laquelle les services officiels britanniques sont toujours mal à l’aise, puisqu’ils viennent de demander un nouveau report des équivalences au 1er janvier 2024.

Les Sivep veillent

En France, on s’est mobilisé et on a créé les Sivep nécessaires aux contrôles sanitaires à Calais, Dunkerque, Boulogne, Caen, Le Havre, Dieppe, Saint-Malo et Roscoff où, outre le volet documentaire, on vérifie que les scellés sanitaires posés au départ des ensembles routiers n’ont pas été brisés. « À Boulogne, avec Frédéric Cuvillier, le maire, en tête, le syndicat des mareyeurs boulonnais et Stef (seul candidat à la gestion du Sivep) ont réagi pour être fin prêts à l’entrée en vigueur du Brexit. Et Boulogne a réussi à obtenir l’unique Sivep spécialisé “produits de la mer“. Cela facilite la vie des opérateurs », souligne un observateur du dossier. Et évite du même coup les engorgements à Calais. « Nous ne pouvons que remercier cette mobilisation qui a permis de passer le cap sans encombres majeures », confirme Grégory Grare, directeur général de Géofret. Boulogne, pourtant dépourvu de liaisons maritimes avec l’Angleterre, est devenu l’acteur incontournable de l’entrée des produits de la mer britanniques dans l’Union européenne… Ce volet administratif du Brexit a même permis de créer des emplois (douaniers, services vétérinaires, Stef, RDE – représentants en douanes enregistrés – créés par Mesguen, Delanchy, Bims, Sealogis, DFDS et DHL…).

Nouvelles lignes remorques et conteneurs depuis l’Irlande du Sud

Mais le Brexit a une conséquence plus inattendue : le développement des lignes maritimes depuis l’Irlande. Les Écossais mais également les pays membres de l’Association européenne de libre-échange (Islande, Norvège, Liechtenstein et Suisse) ont privilégié l’Irlande. De 12, le nombre de lignes de fret est passé à 45, d’une part entre Cherbourg, Le Havre, Dunkerque et Rosslare, d’autre part entre Roscoff et Cork.

« Il nous faut tous être imaginatifs. Le Brexit promettait des difficultés à Boulogne et… il a développé un véritable savoir-faire : les entreprises qui savent exporter en Angleterre sont désormais armées pour le grand export », constate Grégory Grare.

Modification de la consommation en aval, conséquences du Brexit sur la pêche et sur les nouvelles routes du poisson en amont, crise énergétique, enjeux environnementaux et contexte international instable : la filière et sa logistique se retrouvent confrontées à une mue qui s’écrit en termes économiques… mais également d’aménagement du territoire. L’avenir dira comment se redessinera la carte.

 

Note : nous avons tenté de joindre, en vain, les transporteurs routiers de la filière produits aquatiques. Ils n’ont pas souhaité nous répondre (hormis Stef). Si la filière s’inquiète des prix de l’énergie, elle reconnaît la qualité du service. Et plusieurs transporteurs routiers sont porteurs de projets ambitieux. Dommage.

 

Marielle MARIE

 

Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine Produits de la mer no 222

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