Urk, autrefois un village de pêcheurs isolé, est aujourd’hui le coeur battant de l’industrie néerlandaise de la transformation des produits de la mer. C’est un centre halieutique majeur des Pays-Bas et plus largement d’Europe. Cette métamorphose est le fruit d’une adaptation constante aux défis du secteur, notamment par l’adoption de technologies avancées, la diversification ainsi qu’une stratégie de communication et de marketing ambitieuse.
Historiquement, Urk était réputée pour sa pêche au poisson blanc, notamment les poissons plats comme la sole. Cependant, face à la fluctuation des stocks et aux évolutions du marché, les entreprises locales ont diversifié leurs activités en se tournant principalement vers le saumon. Chez Dayseaday, la vente de saumon représente actuellement plus de 60 % du chiffre d’affaires, qui s’élève à 370 millions d’euros. En 2021, la société a investi entre 1,5 et 2 millions d’euros dans la modernisation de sa ligne de production. « L’achat d’une machine de transformation du saumon robotisée a décuplé notre capacité de production », explique Hendrik van Veen, P-DG de Dayseaday. En 2024, la société a produit 10 000 tonnes de saumon. « Cela représente une augmentation de 40 % par rapport à l’année précédente », poursuit le P-DG. En 2026, Dayseaday prévoit d’agrandir son usine de saumon en y installant une deuxième machine de transformation ultra-moderne. Le coût de l’investissement ? Également près de 1,5 million d’euros.
Cependant, si le saumon est devenu l’espèce dominante dans le commerce d’Urk ces dernières années, certaines entreprises commencent à s’interroger sur leur dépendance à une seule espèce. Pour Rein Brands, directeur d’Urk Seafood, il est important de réduire cette dépendance dans l’industrie néerlandaise. « Un choc sur ce marché (du saumon, NDLR) aurait un impact considérable. Nous devons répartir nos risques. Et nous continuerons à chercher de nouvelles espèces », explique-t-il dans une interview (lire dans PDM no 230, p. 128). Historiquement centré sur le saumon, qui représente encore aujourd’hui les deux tiers de son activité, Zalmhuys cherche aussi à diversifier son offre. « Nous étions exclusivement dépendants du saumon au départ mais nous avons progressivement réduit cela », précise Klaas-Hessel van Eerde, directeur général de l’entreprise. Cette stratégie vise à capter de nouvelles opportunités de marché. Ainsi, chez Dayseaday, la diversification est également essentielle, assure Hendrik van Veen : « Notre catalogue comprend toujours plus de 150 types de poissons différents. » De son côté, Live Seafood, spécialiste du tourteau, a vu son chiffre d’affaires croître de 50 % en 2024. L’entreprise prévoit de vendre plus de 1 000 tonnes de crabe brun en 2025, s’appuyant sur une logistique renforcée pour répondre à la demande chinoise et européenne. North Seafood mise sur l’adaptation aux préférences locales, notamment en France. « Les consommateurs français recherchent une teneur plus élevée en poisson dans les produits panés et des recettes spécifiques. Nous devons ajuster nos sauces et nos préparations en conséquence », souligne Raphaëlle Mouquet, responsable du développement en France. Enfin, Sea Fresh, qui a élargi son champ d’action en acquérant une ferme de crevettes au Sri Lanka en 2023, innove avec son thon jaune prêt à manger, élaboré en partenariat avec Frime. Cette innovation offre un thon de haute qualité en plusieurs variétés, y compris les filets, les morceaux, le carpaccio et le tartare. La diversification et l’innovation sont donc au cœur des stratégies des sociétés néerlandaises, leur permettant de répondre aux attentes d’un marché en constante évolution.
La situation politique internationale, avec des tensions commerciales et la menace de taxes à l’importation, comme celles proposées par Donald Trump, pourrait également inciter certains acteurs à diversifier leurs approvisionnements et leurs offres produits afin de réduire les risques économiques.
L’innovation technologique au service de la compétitivité
Pour maintenir leur position sur le marché mondial, les entreprises d’Urk investissent également dans l’innovation technologique. Des sociétés comme VCU Robotics se spécialisent dans des solutions d’automatisation et de robotisation sur mesure pour la transformation des produits frais et surgelés, optimisant ainsi la production et améliorant la qualité des produits (lire dans PDM no 230, p. 136). Il semble important de mentionner le partenariat entre RapiD Engineering, une entreprise technologique néerlandaise, et Visscher Seafood et leur système de contrôle de la qualité basé sur l’intelligence artificielle. Aujourd’hui « pleinement opérationnelle », la technologie devrait améliorer à la fois la qualité des produits et les décisions d’achat, offrant ainsi des avantages significatifs aux transformateurs et aux fournisseurs. Voilà une raison pour qualifier Urk, comme le fait Tim Brouwer, P-DG de Visscher Seafood, de « Silicon Island » de l’industrie de produits de la mer. Ces technologies offrent une flexibilité accrue, essentielle pour répondre aux demandes spécifiques des clients et aux fluctuations du marché.
Conscientes de l’importance de la visibilité sur les marchés internationaux ainsi que des obstacles à surmonter, les entreprises d’Urk ont uni leurs forces sous la bannière d’Urk Seafood. Cette initiative collective vise à promouvoir la qualité et la diversité des produits de la mer issus d’Urk, renforçant ainsi la notoriété de la région. Des campagnes de marketing ciblées, la participation à des salons internationaux et une présence en ligne dynamique sont autant de moyens utilisés pour atteindre de nouveaux marchés et fidéliser la clientèle existante.
L’industrie fait toujours face à plusieurs défis. Les fluctuations des quotas de pêche, les préoccupations environnementales et la concurrence internationale exigent une adaptation continue. Les entreprises d’Urk et de Yerseke – centre névralgique de la mytiliculture et de l’ostréiculture aux Pays-Bas – misent sur l’innovation, la diversification des produits et une collaboration renforcée pour assurer un avenir prospère à l’industrie.
Port d’Urk : une extension stratégique avec Americold
La municipalité d’Urk a attribué en 2024 un terrain de 32 000 mètres carrés dans le port d’Urk à la société Americold Logistics Urk. Cette extension permettra à l’entreprise d’augmenter significativement ses capacités de stockage de produits surgelés, renforçant ainsi l’attractivité de la région pour l’industrie maritime et la transformation du poisson. Grâce à un système automatisé et à un nouveau dispositif de transbordement, Americold ambitionne de fluidifier la circulation des marchandises tout en garantissant la qualité et la traçabilité des produits. Gerrit Brands, directeur général, a salué cette avancée dans un communiqué de presse, soulignant que « la communauté d’affaires d’Urk est à la recherche d’un endroit où se développer. C’est fantastique que le port d’Urk soit maintenant prêt à commencer à y travailler ». Nathanaël Middelkoop, élu à la mairie d’Urk, affirme que l’arrivée d’Americold renforce l’orientation du port vers les secteurs maritimes et de transformation du poisson, consolidant ainsi la position d’Urk comme un hub international de l’industrie des produits de la mer.
Darianna MYSZKA