Le dirigeant des Pêcheries de Normandie, mareyeur spécialisé dans les coquillages, vient d’être élu président de l’Union du mareyage français (UMF). Un maillon que de nouvelles contraintes réglementaires pourraient encore fragiliser, sauf si, uni au sein de l’UMF et de France filière pêche, il arrive à faire entendre sa voix à Bruxelles.
1 . De nombreux mareyeurs se lancent dans des activités de transformation pour gagner en valeur ajoutée. Est-ce une nécessité ?
2 . Le lancement de Pavillon France est-il votre grand temps fort 2012 ?
3 . Qu’est-ce qui est si complexe dans la mise en place des systèmes de traçabilité saniataire ?
INTERVIEW
Question 1 . Comme vous, de nombreux mareyeurs se lancent dans des activités de transformation pour gagner en valeur ajoutée. Est-ce une nécessité ?
Le métier de mareyeur a évolué en 20 ans. Des groupes avec plusieurs ateliers remplacent les mareyeurs indépendants et s’engagent dans des activités de première transformation pour répondre aux besoins des clients et amortir des investissements de plus en plus lourds dans la traçabilité et la qualité.
Les frontières entre le mareyage et la transformation, mais aussi le négoce puisque nous sommes obligés d’importer pour survivre, sont de plus en plus floues. Difficile de nous compter ! Officiellement, FranceAgriMer recense 295 mareyeurs, contre 1 500 il y a 15 ans. Mais, selon France filière pêche (FFP), les 105 mareyeurs qui ont adhéré à la démarche Pavillon France traitent 90 % des volumes.
Question 2 . Le lancement de Pavillon France est-il votre grand temps fort 2012 ?
Les mareyeurs adhèrent à la démarche visant à valoriser les pêches françaises. Sans promesse de meilleures marges, ils ont fait preuve d’une grande réactivité commerciale qui leur permettra normalement de se différencier vis-à-vis des acteurs de l’import-export.
Mais, pour moi, la mise en route opérationnelle de France filière pêche est encore plus importante. Avec l’association, le dialogue s’instaure et les querelles se taisent. De l’amont à l’aval, nous nous apercevons que nous pouvons avoir le même point de vue et partager des intérêts que FFP défendra auprès des politiques français et européens. Sur des sujets comme le règlement contrôle ou la réforme de l’organisation commune des marchés, la voix de la filière unie sera plus forte que celle des seuls mareyeurs français. Il faut cesser de subir des textes proposés par des gens dont la vision idéalisée de la filière la met en difficulté. Ce qu’ils exigent en termes de traçabilité ne défendra pas les petits bateaux mais les tuera. C’est si complexe que soit nous assurons une traçabilité fictive, soit nous travaillons de l’import. C’est plus simple ! S’ils venaient sur le terrain, les politiques s’en apercevraient, mais nous les attendons toujours.
Question 3 . Vous avez déjà des systèmes de traçabilité sanitaire en place. Alors qu’est-ce qui est si complexe ?
Nous sommes capables d’assurer la traçabilité de toute espèce achetée et envoyée à nos clients… en séquentiel. Pas en temps réel !
Aujourd’hui, nombreux sont les mareyeurs qui saisissent une partie de leurs bons de livraison avant que la totalité des marchandises n’ait été achetée. Grosso modo, ils préparent les étiquettes sans savoir par quels bateaux auront été pêchés les poissons qui seront expédiés – pour les premiers – à 8 h chez les clients. Les informations seront disponibles dès que nous aurons effectué les achats en criées. Lors de l’allotissement, la préparation de commandes, nous assurons
la traçabilité. Mais il est impossible de réaliser la saisie informatique en temps réel. Imaginez, à Noël, l’entreprise envoie 450 000 colis. Qui saisit les informations ?
La question deviendra encore plus pertinente demain si la réforme de l’étiquetage proposée dans le cadre de l’organisation commune des marchés passe. Parce que, pour chaque produit, il faudra indiquer la zone de pêche FAO mais en plus retranscrire sa zone côtière ou, pour les espèces d’eau douce, le bassin de production. Il faudra aussi identifier la date de débarque ou de pêche, le mode de pêche, le pavillon du bateau, etc. Or, pour certaines espèces, il est impossible d’obtenir des lots conséquents et homogènes sans regroupement de lots de différentes provenances. Quelle sera alors la taille de l’étiquette ?
Et peut-on réellement croire que cela sera utile aux consommateurs ? Sincèrement, j’en doute. Cela dit, la France est parfois plus royaliste que le roi, car, dans d’autres pays européens, les interprétations des textes sont beaucoup plus souples. En Allemagne, en définissant un lot comme une quantité homogène d’une seule espèce venant d’un seul bateau, ils ont réussi à sortir l’allotissement du champ réglementaire. Là-bas, le règlement contrôle ne fait pas débat ! Nous ne sommes pas contre le changement, mais il faut qu’il soit raisonnable et pertinent.