Bretagne : à la croisée des chemins

Le 03/09/2024 à 18:44 par La rédaction

Près d’un poisson sur deux débarqués frais dans l’Hexagone est breton. Volumes donc mais aussi diversité d’espèces, de types de pêche et d’entreprises placent la Bretagne au carrefour de toutes les problématiques de la filière. Mais en font peut-être aussi le berceau des solutions ?

1200 navires de pêche, 4 300 marins, soit respectivement 32 et 38 % des effectifs nationaux. 200 entreprises de mareyage et de transformation, représentant plus de 7 500 emplois. 13 des 35 criées hexagonales, dont deux dans le trio de tête (Le Guilvinec et Lorient) en termes de valeur déclarée en halles à marée par des bateaux français. Plus d’une centaine d’espèces. 44 % en volume et 42 % en valeur de la pêche fraîche débarquée en France… Si besoin en était, les chiffres sont légion pour illustrer la place clé qu’occupe la Bretagne dans la filière.

Ce poids – historique et colossal – n’est pas le seul atout de la région. La Bretagne se distingue également par sa structuration et sa diversité. Contrairement à la Normandie voisine, quasiment tous les pêcheurs bretons sont regroupés en organisations de producteurs (OP). Les Pêcheurs de Bretagne (LPDB, lire dans PDM no 226, p. 40) – qui est également la première OP nationale – et Cobrenord revendiquent respectivement 619 et 197 navires adhérents. Créée en 2019, l’association Breizhmer regroupe pour sa part les acteurs de la filière pêche et aquaculture bretonne. Son but : valoriser les savoir-faire et l’engagement bretons. Le label éponyme concerne toutes les catégories de produits et tous les maillons de la chaîne.

Qu’il s’agisse d’engins de pêche, de taille de navires ou d’espèces, la diversité est un mot-clé en Bretagne. Chez LPDB, le « top 3 » des volumes est détenu par la sardine, suivie du merlu commun et de la lotte. En valeur, c’est la lotte qui arrive en tête, suivie du merlu et des langoustines. Les adhérents de Cobrenord, eux, ciblent à 64 % les coquillages, notamment la coquille Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc. Aquaculture (huîtres, moules et truites) et solide maillage industriel complètent ce joli tableau. Mais tout n’est pas rose en pays breton. Ici comme ailleurs – ou plus qu’ailleurs ? – Brexit, prix du carburant, sortie de flotte, éolien, quotas et fermeture du golfe de Gascogne laissent des traces. « On a enquillé une à deux crises par an, sans aides pour le mareyage. Les trésoreries sont amorphes », constate ainsi un professionnel. Au-delà de la question des marges, les volumes, globalement, inquiètent. 45 des 90 bateaux partis à la casse dans le cadre du PAI (plan d’accompagnement individuel) Brexit étaient bretons. Loctudy, lieu du lancement officiel de Breizh Up Pêche le 31 mai (lire dans PDM no 226, p. 41) n’a ainsi pas été choisi par hasard. Le quartier maritime du Guilvinec, qui comprend Loctudy, a subi à lui seul une hémorragie de 26 hauturiers en 2023. Depuis les années 2000, Loctudy a perdu les trois quarts de ses hauturiers. Entre 2022 et 2023, les volumes vendus en halles à marée ont chuté de 23 % à Lorient et au Guilvinec, de 26 % à Douarnenez et de 19 % à Concarneau.

Les enjeux environnementaux et la décarbonation viennent encore complexifier l’équation. Initié en 2022, le projet Hyba (pour hybridation bas carbone) vise à tester en conditions réelles la décarbonation de la flottille. Le chalutier Naoned de l’Armement de la pêche artisanale de Keroman (Apak) a été retenu car il était polyvalent. En juillet, 70 capteurs ont été installés sur le navire à Keroman. Les données collectées doivent permettre de voir où et comment optimiser l’énergie. Le budget du projet s’élève à 2,5 millions d’euros dont 1,3 million pour les travaux de transformation futurs. Pour le moment, l’unique chalutier hauturier breton diesel-électrique est le Blue Wave, de Jean-Baptiste Goulard au Guilvinec.

La question des bateaux constitue souvent un point de friction pour les écologistes et les ONG. Ainsi, le groupe Écologistes de Bretagne du conseil régional n’a pas voté la création de Breizh Up Pêche. Il dénonce, à l’instar de l’ONG Bloom, un greenwashing et un contournement des règles européennes pour financer en pure perte des chalutiers de fond non artisanaux, « destructeurs des fonds marins », avec de l’argent public. Ce à quoi Loïg Chesnais -Girard, président de la Région Bretagne, a répondu le 28 juin : « Si vous jugez qu’au-delà de 12 mètres de long, un navire de pêche est une hérésie, alors il y a 224 bateaux à casser en Bretagne et 1 000 marins à ramener sur la bande côtière, déjà saturée… » La forte mobilisation des ONG n’a en tout cas pas porté chance à l’Annelies Ilena. Surnommé « le navire de l’enfer » par Bloom, il ne récupérera pas les quotas de merlan bleu du chalutier Joseph Roty, atteint par la limite d’âge (plus de 50 ans). Arguments avancés : ce dernier bat pavillon polonais et non français ; de surcroît, il ne peut débarquer à Saint-Malo à cause de son gigantisme (144 mètres), mais à Ijmuiden, aux Pays Bas. Un coup dur pour La Compagnie des Pêches de Saint-Malo.

 

Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL

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