Sorte de Germinal breton, la grève des ouvrières des usines à sardines de 1924 a profondément marqué Douarnenez. La ville bretonne célèbre aujourd’hui cette lutte de plus 2 000 ouvrières marchant chaque jour pendant six semaines et demie, sous la pluie et les neiges d’un hiver très froid. Débutée le 21 novembre 1924, la grève des Penn Sardin (« tête de sardine » en breton, leur coiffe blanche évoquant la tête du poisson) marque un immense ras-le-bol de ces femmes de pêcheurs. Dans les 21 usines de la ville, elles nettoient, vident, font frire et mettent en boîte le petit pélagique. Elles travaillent jusqu’à 18 heures par jour, dès l’âge de 8 ans et jusqu’à la fin de leur vie. Ces ouvrières ont finalement gagné leur bras de fer contre le patronat de l’époque, qui rechignait à payer leurs heures supplémentaires ou à améliorer leur misérable salaire (0,80 franc de l’heure, l’équivalent de 3 euros). L’industrie de la sardine en conserve pèse très lourd en Bretagne au début du XXe siècle. Face au mouvement de contestation, ni le maire communiste (qui leur offre notamment des sabots qu’elles cassent sur les pavés en protestant) ni même le préfet de Police ne songent à réprimer cette révolte populaire, seulement entravée par des briseurs de grève envoyés depuis Paris et engagés par les usiniers. L’une des actions de ces mercenaires fera tourner l’opinion en faveur des sardinières et connaître la révolte dans toute la France : une tentative de meurtre sur le maire de Douarnenez, qui fut blessé par balle. Le 6 janvier 1905, les Penn Sardin obtiennent une augmentation de salaire, qui passe alors à 1 franc (soit 4 euros). Cette lutte ouvrière connaît un net regain de popularité ces dernières années. Outre un récent ouvrage paru aux Éditions Libertalia*, la ville de Douarnenez multiplie les rendez-vous culturels jusqu’à début 2025, comme l’exposition « La révolte des sardinières » au port-musée (jusqu’au 1er février 2025), le spectacle « La grève rouge » le 26 octobre ou encore des parcours dans la ville, où des fresques murales rendent hommage aux travailleuses.
Guy PICHARD
*Une belle grève de femmes, sorti en 2023