Capécure change de visages, au sens propre comme au figuré. Boulogne-sur-Mer traverse les ponts pour rejoindre sa zone d’activité dédiée aux produits de la mer. Le quartier, qui représente 80 % de la production des produits de la mer dans les Hauts-de-France, est en train d’opérer sa mue alors que, dans les entreprises, s’opère un passage de générations.
Jusqu’à présent, quand on questionnait sur la direction à prendre pour Capécure, on pensait zone d’activité des produits de la mer… Aujourd’hui, on répond « Le port ou le cinéma ? ». Frédéric Cuvillier, maire de Boulogne-sur-Mer s’en amuse : « À l’origine, Capécure était un quartier de la ville où se mêlaient activités économiques et habitations. » Mais il y a 80 ans, Capécure n’existait plus, rasée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Quand arrive la reconstruction, des choix d’urbanisme sont faits : un port d’un côté, une ville de l’autre, un terminal transmanche au milieu. Mais aujourd’hui, « après 10 ans de reconquête foncière », rappelle Frédéric Cuvillier, la ville renoue avec son port et le « Pôle Capécure » est doté d’un gigantesque parking dédié tant aux salariés de la zone d’activités qu’au cinéma inauguré le 30 juillet dernier. Dans le même temps, la zone d’activité fait sa mue. Les investissements se succèdent. Les terrains vacants ont été reconvertis. Les pionniers qui y ont installé leurs usines dernier cri – Océan Délices, Mowi et Capitaine Houat – dans les années 2010 ont été rejoints par IOD Seafood en 2019, Grand Frais (Prosol) en 2022 et Frais Embal.
Dans Capécure 1, on ravale les façades mais pas que. Malgré un contexte économique complexe, on construit. Dans quelques mois, l’entreprise de mareyage JP Marée sera dotée d’un outil de transformation de 2 700 mètres carrés. Sofipêche a repris l’atelier Labeyrie. Demarne démarre cet automne deux lignes de conditionnement, pour des barquettes LS sous atmosphère modifiée et skinpack à destination de la GMS et de la RHF. « Ce mode de conditionnement pour la restauration vise à se substituer à la caisse PSE et à résoudre l’équation du dernier kilomètre de collecte d’emballage ainsi que la problématique glace et stockage du poisson », explique Romain Demarne.
Aymeric Chrzan, secrétaire général du Mareyage Boulonnais, constate avec satisfaction que les entreprises ont traversé sans défaillance les vagues de grèves qui ont paralysé le port, la crise sanitaire, le Brexit et ses conséquences ainsi que les plans de sortie de flotte, malgré les difficultés : « Il ne faut pas être d’un optimisme débordant mais, raisonnablement, la résilience dont les entreprises ont su faire preuve est de bon augure pour un avenir où développement durable et RSE s’imposent comme des prérequis. Leur dynamisme, leur prise en compte d’outils comme l’IA et la robotisation aussi. »
Les entreprises logistiques (Stef, Delanchy, Kotra, Olano, Mesguen, Rungis Marée, etc.) ont accentué leur présence et totalisent aujourd’hui 650 emplois. John Driege a aménagé une nouvelle plateforme en 2024, non loin de la gare de marée. L’avènement du Brexit, en 2020, faisait craindre le pire pour Capécure. La création du Sivep, qui a fait de Boulogne-sur-Mer le point de contrôle obligatoire en matière de sécurité sanitaire des produits de la mer provenant du Royaume-Uni, a au contraire fléché les flux. Boulogne rêve par ailleurs d’une ligne de fret avec Cork, qui confirmerait encore son rôle d’interface incontournable avec l’Irlande, la Grande-Bretagne et au-delà avec les pays nordiques. Une offre complémentaire aux lignes qui se multiplient entre l’Irlande et Dunkerque, où Norfrigo est positionné stratégiquement…
À Boulogne, Norfrigo va rassembler trois de ses entrepôts dans un seul et même bâtiment de 34 000 mètres carrés qui sera érigé à partir de fin 2024 pour une mise en service prévue fin 2026. Avec cet investissement d’une valeur de 30 millions d’euros, la capacité de stockage de l’entreprise va augmenter de 15 %. « Nos bâtiments avaient leur âge. L’idée est de préparer les 40 prochaines années », résume Antoine Le Garrec. Le tout en faisant des économies, avec du matériel plus récent en termes de production de froid, une meilleure isolation et une économie d’échelle.
Le groupe Le Garrec et Cie va aussi démolir l’actuelle glacière et en construire une nouvelle, bord à quai. Le nouvel équipement sera moins gourmand en eau pour produire ses 20 000 tonnes de glace par an. Le groupe réfléchit également à son nouveau siège « dans le Boulonnais ».
La communauté d’agglomération du Boulonnais s’est quant à elle emparée du sujet des friches dans Capécure et les rase une à une. La collectivité a investi dans un complexe de 7 ateliers de transformation allant de 506 à 1 196 mètres carrés. L’appel à manifestation d’intérêt pour leur location devrait être lancé en fin d’année 2024.
Mais si Capécure change de visage, la filière change également de figures. Un passage de générations s’opère : Constance Wattez, Antoine Le Garrec, Guillaume Ducamp, Julien Farrugia, Romain Demarne, etc. prennent la succession de leurs aînés. Et sans renier le passé, tous ont leur vision de l’avenir. Parmi la jeune génération, un trublion : Jean-Christian Giroux. Le créateur de la marque La Paysanne des Mer, fils d’une pêcheuse à pied installée à Calais, a sauvé l’entreprise à grand coup de réseaux sociaux. Un axe de travail qu’il partage avec cette jeune génération, avide de communiquer positivement sur les produits et les métiers de la filière. Il espère pouvoir être retenu pour occuper l’une des cellules du bâtiment de la CAB pour développer une gamme LS sous skin.
Côté pêche, le bilan est moins rose. « On ne va pas sombrer dans le défaitisme. Je suis un vieux loup de mer bien placé pour savoir qu’on a connu d’autres crises. Quand on a plus eu le merlan, on s’est tourné vers l’encornet et la seiche. Les zones où l’on peut pêcher se réduisent avec les AMP (aires marines protégées) anglaises mais aussi belges et néerlandaises, ainsi que l’éolien offshore. Le plan de sortie de flotte n’a pas eu autant d’impact ici qu’en Bretagne. Les fileyeurs se sont majoritairement reconvertis en casiers à bulots. Mais il ne faut pas faire n’importe quoi. Sinon, un jour, il n’y aura plus de flotte de pêche à Boulogne. », résume Olivier Leprêtre, président du CRPMEM. Une perspective qu’il faudra garder en tête pour les négociations du Brexit 2 en 2026. Aymeric Chrzan lui emboîte le pas « pour que Boulogne reste compétitive, il faut être vigilant à conserver tous les outils de travail, de mareyage, de transformation… et de pêche. Même si c’est important, on ne peut pas n’être qu’une place de négoce ». Et l’ancien ministre de la Mer d’ajouter : « Boulogne-sur-Mer a connu des chocs brutaux mais s’est toujours relevée. Aujourd’hui, Capécure pratique la haute technologie du poisson, travaille sur l’économie circulaire, la gestion de l’eau, du froid… Elle est au rendez-vous et embauche », rappelant que le taux de chômage dans la ville est de 8 % contre 15 % dans le département. « On vit une période, pleine de défis mais excitante », conclut-il. La filière espère bien montrer ce dynamisme lors des prochaines Assises de la pêche et des produits de la mer, les 18 et 19 septembre 2025, qui se dérouleront à l’Embarcadère. Un palais des congrès inauguré mi-septembre… et construit sur les vestiges de l’ex-gare maritime… à mi-chemin entre la ville et Capécure.
Des projets pour asseoir le dynamisme
Le Galpa porte des projets locaux innovants. Une étude portant sur la faisabilité de cultures d’algues est en cours, avec un consortium notamment composé du CRPM Hauts-de-France et de Scogal. Par ailleurs, six recettes simples représentant chaque segment de côte de la Manche, élaborées par des chefs, vont être diffusées sur les réseaux sociaux, avec de belles images de Boulogne-sur-Mer et Audresselles.
La visibilité de la place boulonnaise passe aussi par l’implication du Pôle Aquimer dans des projets européens. À titre d’exemple, citons BlueAquaedu qui vise à former sur les produits aquatiques. Une session a eu lieu le 26 septembre, avec pour sujet la transformation des coproduits. Dans les livrables, un serious game sur les produits de la mer et leur transformation.
Valérie Rioust, de Boulogne Développement Côte d’Opale, s’est quant à elle attelée à la communication. « La Mer en direct » communique sur les produits et les infos de la filière au travers d’un site Internet, d’une vidéothèque, d’une photothèque, de salons, de fêtes maritimes, etc., le tout relayé sur les réseaux sociaux. Un travail a par ailleurs été entamé auprès des hôpitaux et de la restauration collective « parce que les enfants sont prescripteurs ».
Une marque ombrelle pour les produits de la mer de la région
À la demande de Marie-Sophie Lesne, vice-présidente de la Région Hauts-de-France, des états régionaux de la filière halieutique ont été organisés en juin 2022. Il en était ressorti une aspiration à bénéficier d’une marque ombrelle, pas seulement pour les produits de la mer issus de Capécure et des zones de Wimille ou Landacres, mais aussi pour ceux de la pêche à pied, d’Aquanord à Gravelines, des piscicultures (les Hauts-de-France fournissent 20 % des truites hexagonales et sont la deuxième région productrice de truites en France) ou encore d’Arras (où sont implantées Lerøy et Simon Dutriaux). La Région s’est fait accompagner par le cabinet lorientais Mer Conseil qui a, entre septembre 2023 et juin 2024, établi un diagnostic pour déterminer le périmètre de la marque. Trois scenarios potentiels ont été établis pour déterminer les critères d’attributions de la marque : l’origine des entreprises, les SIQO (signes officiels de la qualité et de l’origine) et la cohabitation de plusieurs cahiers des charges selon la typologie de produits. La Région s’est fixé un an pour créer le cahier des charges de la marque, définir son portage et créer sa communication (à destination de la France et/ou de l’international).
Marielle MARIE