Une nuit au A4 de Rungis

Le 19/02/2022 à 18:05 par La Rédaction

Avec ses produits de la mer à profusion et ses codes bien à lui, le A4 s’anime de 21 heures à 5 heures 30. La rédaction de PDM a passé une nuit dans le mythique pavillon marée du Marché international de Rungis.  

7 décembre, minuit. Alors que la plupart des Français dor ment déjà à poings fermés, c’est l’effervescence dans le pavillon marée du Marché international de Rungis, - le « A4 » pour les intimes. Rouges et argentées, bien alignées dans les airs, des boules de Noël annoncent l’imminence des fêtes à venir. Une période stratégique : en fin d’année, les volumes d’huîtres ou de homards atteindront des sommets. 

Depuis 21 heures, poissons, coquillages et crustacés arrivent des principaux bassins de production français mais aussi de l’étranger, en camion ou par avion. Les poids lourds déchargent leur marchandise par les quais présents de chaque côté du bâtiment. On compte ainsi 29 portes côté Boulogne. Elles sont dotées de sas étanches pour prévenir toute rupture du froid au moment du déchargement. Celui-ci s’effectue sous température dirigée, limitant la fonte de glace avant l’entrée dans la partie magasin. La mise en place sur le carreau de vente se traduit par un harmonieux ballet de transpalettes et de petits chariots, les commis « rouleurs »aux manettes. 

L’allée marchande centrale est matérialisée par des bandes jaunes. Les carreaux, eux, sont encadrés de bleu. À gauche, côté Boulogne, ils mesurent chacun 250 mètres carrés. Impossible d’y rater le trio le plus important du bâtiment. Reynaud est le champion en termes d’emprise au sol, suivi par J’Océane et Demarne. À droite, côté quai Lorient, les carreaux sont un peu plus modestes (125 m²). On y trouve les acteurs plus spécialisés, par exemple en pêche côtière, un atelier de filetage ou encore des viviers. Les produits déjà commandés (par téléphone ou Internet) sont préparés sur le carreau et disposés sur des palettes.

La mise en place s’achève avec l’arrivée des premiers acheteurs, lorsque la vente débute, à 2 heures tapantes. Ils piaffent déjà dehors, mais pas question d’arriver avant, pendant la période de manutention. Et il faut montrer patte blanche. Seuls 641 acheteurs (détaillants en magasin, détaillants sur marché et commerce de gros/activité poissonnerie ou produits de la mer) possèdent une carte qui les autorise à acheter auA4. Tradition oblige, aucun prix n’est affiché nulle part. C’est en chuchotant, petit carnet à la main, « à l’ancienne », que les vendeurs fixent les tarifs avec leurs clients. Les habitués payent moins cher, ceux qui prennent de gros volumes aussi. Le commis ramène la marchandise, pendant que les préparateurs de commande restent sur le carreau.

Les caissières sont arrivées vers 1 heure 30, juste avant le début de la vente. Dans les coulisses, près des quais de chargement, les quatre « gardeuses » veillent au grain. Pour éviter les pertes et les vols de marchandise, elles notent tous les passages, le nombre de colis, etc. En cas de litige, elles ont recours aux bandes de la vidéosurveillance. 350 emplacements sont définis, identifiables par un macaron de deux nombres. Vers 5 heures 30du matin, le bâtiment retrouve son calme. Les derniers coups de raclette sont passés sur les carreaux, les patrons remontent dans les bureaux. 

Les équipes de nettoyage du Marché international de Rungis prennent alors le relais. Le sol est revêtu d’une résine spéciale et les murs sont laqués pour faciliter le nettoyage quotidien. En journée, ce sera au tour des bureaux, au deuxième étage, de s’animer. Les vestiaires se trouvent, eux, au premier étage. 

Avec ses 24 000 mètres carrés, le pavillon marée est le plus imposant du Marché international de Rungis, lui-même plus grand marché de gros au monde pour les produits frais. 12 000 personnes au total y travaillent, pour un colossal chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros en 2020. Pour péné-trer l’enceinte du marché, il faut franchir un péage (entre 15 et 20 euros selon la taille du véhicule, moins pour les acheteurs munis d’une carte). Le site s’étend au total sur 234 hectares et s’organise, avec ses rues, ses places, ses restaurants. « C’est plus grand que Monaco ! », souligne Jean-Mikaël Lozac’h, inspecteur du secteur marée.

Sa mission : patrouiller toute la nuit, pour veiller au bon respect du règlement intérieur et à la sécurité (port du masque, interdiction de fumer, règles de circulation, etc.). L’inspecteur a le pouvoir de verbaliser. Pour un acheteur particulier qui essaierait de venir faire quelques bonnes affaires sans carte officielle, c’est 450 euros d’amende. Même punition pour celui qui aurait accepté de lui vendre de la marchandise. Les services vétérinaires sont présents en permanence sur le marché. Cinq personnes assurent ainsi des contrôles quotidiens au pavillon de la marée. Température, étiquetage, DLC, qualité sanitaire : à la moindre anomalie, toute la marchandise part à l’équarrissage. Les déchets de poissons et de coquillages sont récupérés deux fois par semaine par la société Unimer. Ils seront transformés pour le pet-food ou la cosmétique. 

Au A4, il règne indéniablement une ambiance particulière. Tout le monde se connaît. Jouxtant le bâtiment, trois restaurants (À la marée, Les Embruns, Au SaintMaurice) permettent d’aller boire un verre ou de manger un plateau de fruits de mer à 3 heures ou 5 heures du matin. « C’est une vie en total décalage mais on s’y attache vite. En fait, c’est simple : on adore ou on déteste », résume Jean-Mikaël Lozac’h. Véronique Gillardeau-Aerts, l’une des rares femmes du A4, se souvient encore de ses débuts àRungis. « Les trois premières semaines au A4 ont été un choc, j’ai cru que je ne m’habituerais jamais au travail de nuit. Maintenant je ne me verrai plus vivre autrement, et je n’ai plus de problèmes d’insomnie ! », raconte celle qui a pris la tête de Maison Blanc, le distributeur historique des huîtres Gillardeau, il y a deux ans.

La crise sanitaire a changé les habitudes des consommateurs. Le vendredi et le samedi sont désormais les journées les plus chargées au A4. Avant, c’était plutôt le mardi et le vendredi. Les plus forts volumes du bâtiment sont assurés par le saumon, le bar, la daurade, les coquillages et crustacés ou encore les filets frais, type dos de cabillaud. Dans les allées, on trouve du local (lotte pêche artisanale du pays bigouden), comme des espèces exotiques pêchées dans l’océan Indien (poissons perroquets, dorade coryphène, vivaneaux, etc.). L’année 2020 a, ici comme ailleurs, été hors normes. « Quand les restaurants étaient fermés, les poissonniers ont sauvé la mise », rappelle Véronique GillardeauAerts.

Sur 2021, c’est surtout la politique internationale qui a impacté le A4. « Depuis le Brexit et les problèmes d’approvisionnement qui en découlent, c’est beaucoup plus calme. Sur certaines espèces, les volumes ont été divisés par deux », observe un acteur du pavillon. Le A4 abrite aussi des équipes de fileteurs, par exemple chez Marine Quality. À côté du bâtiment, Senecrus dispose d’un outil de cuisson des crevettes. Rungis, c’est aussi tout un écosystème. Les principaux transporteurs (Stef, Delanchy, Olano) sont ainsi présents sur le Marché international.

Le A4 en chiffres : 
Le plus grand pavillon du Marché international de Rungis
24 000 m², dont 4 000 m² de zone de déchargement des camions
800 personnes y travaillent
50 000 tonnes de produits de la mer/an
641 acheteurs relevant du secteur marée
50 entreprises de marée

 

Texte : Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL
Photos : Thierry NECTOUX

 

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