Après une reprise par le groupe Gloria Maris il y a 10 ans, la ferme aquacole gravelinoise Aquanord, exemple parfait de l’économie circulaire, continue de prospérer. PDM a rendu visite à ce fleuron historique de la filière.
Avez-vous déjà goûté des bars et des daurades élevés dans les eaux tièdes qui ont servi à refroidir une centrale nucléaire ? Depuis 1983, la société Aquanord, installée à Gravelines, en produit chaque année environ 2 000 tonnes. Peu connus du grand public, ces produits « haut de gamme » dont l’élevage peut durer jusqu’à quatre ans sont appréciés par de nombreux chefs, jusqu’à se retrouver sur la carte d’un restaurant perché sur la plus célèbre tour de Paris. En février, à l’occasion des 40 ans de la ferme, PDM a visité le site en compagnie de Bertrand Ritter, directeur d’Aquanord, et de Philippe Riera, dirigeant et fondateur du groupe Gloria Maris, propriétaire d’Aquanord depuis 2013.
Située dans le Nord, la ferme borde les bâtiments de la centrale nucléaire, dont elle est séparée par le canal industriel. Celui-ci sert à refroidir l’eau des industries environnantes. Sa température varie entre 15 et 25 degrés, offrant des conditions idéales pour l’élevage de bars et de daurades. Le pompage de l’eau, dont le renouvellement est constant et dont la consommation atteint 12 m3/sec, est cependant « très énergivore ». De quoi inquiéter Philippe Riera : « Cette année, on va avoir une augmentation de notre facture d’électricité mais on espère que les coûts énergétiques baisseront dans les trois ans à venir. Sinon, ça posera beaucoup de problèmes. » En attendant, 2022 a été une « très belle année » avec des taux de retour « exceptionnels ». « Il n’y a plus de mortalité. On récupère plus de 90 % de poisson, vante le patron de Gloria Maris. On récolte les fruits du travail tant sur la qualité des produits que sur la marque et sur la distribution. »
Le bien-être des poissons
Une évolution dont Bertrand Ritter est témoin depuis le début du projet, qu’il a accompagné en tant que stagiaire. Sur le site, il est comme un poisson dans l’eau. Il connaît presque par cœur les 280 bassins de la ferme. « Chaque bassin correspond à une espèce ou taille de poisson et on connaît leur effectif exact. Cela nous permet d’adapter l’aliment à l’espèce et à sa taille. C’est comme avec des humains. On ne donnera pas le même aliment à un nouveau-né qu’à un adulte », explique-t-il. L’arrivée d’eau est maintenue ici en permanence grâce au courant important dans le bassin. « Le poisson nage contre le courant et se muscle. Grâce à cela, on obtient une chair plus ferme, meilleure pour la consommation. Notre croissance est volontairement très lente pour obtenir un produit de meilleure qualité », insiste le directeur d’Aquanord. Il serait pourtant faux de croire qu’il ne s’agit pour lui que d’un simple produit. Le bien-être de ces bêtes est sa « priorité » dans le processus d’élevage.
À l’intérieur du bâtiment de production, nous croisons un employé vérifiant le niveau d’oxygène, le taux d’alimentation et la quantité d’eau. « Chaque jour, on vérifie tous les bassins », souligne Bertrand Ritter. À la question de la densité, souvent soulevée par les militants écologistes, il répond avec pédagogie : « La densité n’est qu’un seul paramètre du bien-être parmi tout un ensemble. On peut avoir une densité faible, mais si on ne met pas beaucoup d’eau et de mauvais aliments, les poissons vont souffrir ». Et à Philippe Riera d’ajouter : « En mer, la densité varie entre 8 et 15 kg/<m3 et en bassin entre 10 et 30, voire 40 kilos. En fonction de l’apport d’eau et des alevins, on peut la baisser ou l’augmenter. »
Aux extrémités de la ferme, on découvre deux séries de bassins extérieurs. L’une dédiée à la daurade, l’autre au bar. Dans ces bassins de 4 mètres de profondeur, le poisson termine sa croissance. Il y reste de 6 mois à 2 ans pour les produits allant jusqu’à 2,5 kilogrammes. Des énormes silos de stockage distribuent, via les tuyaux, plus de 30 aliments différents et durables, travaillés sur la base des farines d’insectes ou d’algues. Un programme de recherche sur l’alimentation permet à la société de tester et de produire les aliments sur place. Une des économies nécessaires pour assurer la rentabilité, accompagnée par la hausse de prix, possible « grâce à la qualité de produit plus élevée ». Philippe Riera ne cache pas que la reprise de la société, menacée de liquidation judiciaire, était « une prise de risque importante ». « Mais on n’a aucun regret, car avec Aquanord on a enrichi le groupe grâce à des savoir-faire importants. Sans cette expertise, l’entreprise ne fonctionnera pas », ajoute-t-il.
De futurs investissements
Aquanord est connectée, par un tuyau d’eau, à une écloserie, l’un des leaders en Europe sur l’alevinage du bar. Créée en 1986, elle réalise un chiffre d’affaires de 7,5 millions d’euros pour une production de bars et de daurades doublée en 10 ans. La pêche de bars et de daurades ayant lieu tous les jours et à la commande, une nouvelle famille d’alevins est rentrée chaque mois dans les bassins pour « assurer la gamme et permettre l’homogénéité toute l’année ». Aquanord commercialise des poissons allant de 300 grammes à 2,5 kilogrammes sur le bar et de 300 grammes à 1,5 kilogramme sur la daurade. Grâce à la proximité ave Boulogne-sur-Mer, le produit est sur les marchés européens (30 % d’export) en maximum 24 heures.
Dans la salle de conditionnement, équipée d’une machine pour peser, trier et calibrer le poisson selon son poids, le produit est rangé dans des caisses de 5, 7, 10 kilogrammes ou à la pièce. Étiqueté et glacé, il est ensuite automatiquement mis au réfrigérateur afin d’éviter aux employés de porter les caisses. « On compte une heure entre la sortie du poisson du bassin et la mise au frais », décrit le directeur du site.
Cette machine bien huilée se dotera cette année d’un atelier de transformation, dont l’investissement atteindra 1 million d’euros. Le filetage, jusqu’à maintenant réalisé par des sous-traitants, sera réalisé soit à la main, soit de façon automatisée. Aquanord mettra également en place la technique d’abattage appelée « ikejime » (littéralement « mort vive » en japonais), qui consiste à neutraliser rapidement le système nerveux de l’animal à sa sortie de l’eau et à le vider de son sang. « C’est une demande de nos clients sur le produit haut de gamme pour une meilleure qualité et une meilleure conservation », note Bertrand Ritter.
De son côté, l’écloserie Marine dépensera 1,4 million d’euros dans une nurserie supplémentaire pour augmenter la production de 20 à 30 % et ainsi répondre à une demande internationale croissante. En parallèle, le site mène des investissements pour développer son stock de daurade afin d’égaler celui du bar. Aujourd’hui, le ratio de la production est d’environ 80 % de bar et 20 % de daurade.
Et, si on tend bien l’oreille, d’autres projets seraient à l’étude. L’élevage de daurades et de bars – à structure constante – n’a pas vocation à être augmenté. Cependant, Aquanord possède encore du foncier réservé à l’aquaculture sur sa zone. Une place pour de nouvelles espèces ? Pour l’instant, cela reste secret. Mais, pour les deux hommes, rien n’est exclu.
Darianna MYSZKA