Sous-consommatrice de produits de la mer, la région Auvergne-Rhône-Alpes se distingue par le leadership national de la Dombes sur les poissons d’eau douce (carpe, brochet, sandre, etc.) et l’influence gastronomique de Lyon,avec une demande soutenue de la restauration.
12 octobre, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Lyon. Il y a encore du brouillard et le GPS est pris au dépourvu quand il s’agit de trouver le petit chemin en terre qui mène à l’un des 1 200 étangs qui composent la Dombes. La pêche a débuté il y a à peine quelques jours et durera jusqu’à fin mars. Ici, l’océan est (très) loin. Logiquement, en Auvergne-Rhône-Alpes, la consommation de produits de la mer est bien inférieure à la moyenne nationale. La région Centre consomme ainsi environ 40 % de poisson en moins que la région Ouest, deux fois moins de coquillages et près de dix fois moins de crustacés (d’après le rapport FranceAgriMer sur la consommation des produits aquatiques en 2020, en volume) ! Mais l’Auvergne-Rhône-Alpes – et la Dombes en particulier – est le paradis d’un autre type de poissons : carpes, brochets, sandres, tanches, perches ou encore « blancs » (terme qui désigne ici les petits poissons tels que les gardons). La Dombes est ainsi la première région française pour la pisciculture en eau douce. Elle respecte un modèle très extensif. « Préserver l’écosystème, la culture et l’économie des étangs de la Dombes est une vraie volonté des acteurs, soutenus par le département de l’Ain. D’autant qu’avec le réchauffement climatique, il est plus que jamais pertinent de garder des zones humides », souligne Philippe Pionin, directeur général de l’Apped (Association de promotion du poisson des étangs de la Dombes). La structure rassemble 150 exploitants, 2 écloseurs, 6 collecteurs et 6 transformateurs (dont Le Fumet des Dombes et Homards Acadiens). Une prime négociant de 10 à 20 centimes/kg de poisson est versée à ceux qui respectent le cahier des charges de la marque Poissons de Dombes. Les critères sont multiples : poisson né et élevé dans la Dombes, assec tous les 3 à 4 ans avec l’obligation de travailler le sol de l’étang (généralement en culture céréalière de type orge ou avoine), etc.
Entre thou et gruyère
Dans la Dombes, la pêche traditionnelle se pratique depuis près de… 1 000 ans ! La région se situe sur un ancien glacier, les sols y sont argileux et retiennent l’eau. Au Moyen Âge, cette zone marécageuse était vectrice de maladies. C’est pourquoi, au XIe siècle, des moines ont eu l’idée d’y construire des étangs. L’objectif était double : assainir la zone et produire un vivier de poissons pour les jours maigres. Depuis, les techniques se sont améliorées mais le principe est resté identique. Les étangs sont conçus selon deux pentes formant une rigole au centre. Dans l’autre sens, une pente mène jusqu’au « thou ». Cette sorte d’écluse (en pierre ou en béton) permet de vider l’eau en quelques jours, souvent dans un ou plusieurs autres étangs, construits juste en aval. Les poissons ainsi regroupés sont maintenus dans une petite zone délimitée par un filet. Les jours de pêche, s’y affairent des habitués en hautes bottes, pieds dans la boue, eau jusqu’aux cuisses. En ce jour d’octobre, celui qui manie l’épuisette a… 86 ans ! Son expérience lui permet de prédire le comportement des différents poissons en fonction du courant créé par un aérateur placé à côté. Il sort à la force des bras « presque une seule espèce à la fois » sous les regards admiratifs de ses collègues du jour, jeunes et moins jeunes. Après cette première sélection, les poissons passent sur une table de tri (autrefois appelée « gruyère ») pour achever la séparation des espèces. L’opération est là encore manuelle. Tous les poissons sont sortis de l’eau. Les grands – les carpes peuvent peser jusqu’à 6 kilogrammes – sont destinés à la consommation humaine. Les petits serviront à réempoissonner d’autres étangs ou seront temporairement mis à l’abri dans des cages flottantes pour les protéger des cormorans, féroces prédateurs. Point original : tous les poissons sortiront d’ici… vivants, dans des conteneurs oxygénés. Les carpes partent souvent vers l’Alsace, grosse région consommatrice.
La saison 2021-2022 a été favorable à la pisciculture dombiste. « Une météo favorable, couplée à la professionnalisation des pisciculteurs, a permis d’atteindre des volumes de production inégalés depuis 2014 », se réjouit Pierre La Rocca, président de l’Apped. L’empoissonnage laisse espérer de bons résultats pour la saison en cours.
Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL