[ Pour vendre mieux, pêcher mieux ? ]
À la faveur de cas d’écoles, trois professionnels ont exploré les voies d’une meilleure valorisation du poisson dès la première vente. Président du Comité régional des pêches de Bretagne, Olivier Le Nézet apporte son regard sur le merlu, qui bénéficie d’une augmentation des quotas après des années de pénurie. Comment recréer un marché de volume bien valorisé ? « En le vendant en filet et non plus entier », répond-il. Au contraire, José Journeau doit gérer la pénurie imposée par les Tac sur la sole. L’OP de Vendée qu’il préside a dû prendre des mesures d’autodiscipline pour adapter au mieux la capture et le marché. Enfin, Boulogne, qui a surfé d’octobre à avril sur des pêches miraculeuses d’encornets, a pu bien les valoriser, selon le secrétaire du syndicat des mareyeurs boulonnais, Aymeric Chrzan, car l’encornet dispose de marchés bien connus en frais comme par les industriels de l’Europe du sud. « L’espèce se prête bien à la surgélation, ce qui permet d’écouler de gros volumes. Malheureusement, cela n’est pas vrai pour toutes les espèces. »
[En France ]
◗ 12 organisations de producteurs (OP) ◗ 38 halles à marée ou criées, soit, en 2014, un chiffre d’affaires de 660 millions d’euros ◗ Plus de 50 % des tonnages dépendent des quotas européens. ◗ En 2013, 60 % des taux admissibles de captures (300 000 tonnes) ont été consommés.
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Les Assises de la pêche et des produits de la mer constituent l’un des rares rendez-vous où tous les maillons de la filière se rencontrent. À Boulogne, les 16 et 17 juin, ils se sont le plus souvent montrés solidaires. Ainsi, Philippe Vignaud, président de Vives eaux, démontre en quoi l’aval et l’amont sont liés. « Ce qui est bon pour les pêcheries l’est pour le mareyage, explique-t-il. Une meilleure visibilité sur les quotas nous permet de fidéliser notre clientèle. Sans compter que connaître ceux de la raie, par exemple, permettrait de sécuriser un investissement dans une machine à peler. Trente-cinq mille euros, ce n’est pas un investissement anodin. » Président du Comité national des pêches maritimes, Gérard Romiti se fait clairement le porte-parole d’une interprofession, encore fantôme : « Il faut obtenir des quotas sur cinq ans pour ne plus jouer chaque fin d’année à la roulette bruxelloise. » À défaut d’être généralisés, ces plans pluriannuels sont en marche. Le président de la Coopérative maritime étaploise et ancien patron de pêche, Bruno Margollé évoque ceux qui concernent le sprat, le hareng et le cabillaud en Baltique et s’attarde sur les plans de gestion volontaires adoptés pour la sole. « Nous devons régionaliser la gouvernance pour gagner en visibilité et en stabilité, demande-t-il, et rassurer aussi bien nos clients que nos banquiers. » Ces derniers sont attendus pour financer le renouvellement d’une flotte de pêche de plus de 27 ans d’âge. Avec la nouvelle politique commune des pêches, les organisations de producteurs voient leurs missions se multiplier et se renforcer. Comme le détaille David Milly, directeur de Pêcheurs d’Aquitaine, elles sont appelées aujourd’hui à « adopter des plans de production et de commercialisation, à accompagner les professionnels dans des démarches de certification et de labellisation, à absorber les pics de production par le stockage, en surgelé, pour stabiliser le marché, à encadrer les producteurs qui vendent hors criée, et à créer de nouveaux débouchés. » Ainsi, pour approvisionner la restauration collective non ciblée par le mareyage local, Pêcheurs d’Aquitaine a investi dans un atelier de découpe et de conditionnement. Touché par la situation des pêcheurs de l’île d’Yeu, conscient de l’aberration de voir le merlu boudé, Joseph Goethals, acheteur de Flunch, qui met près de 1 000 tonnes de filets de poisson dans ses menus, a eu envie de travailler l’espèce. Il s’est rapproché de l’OP de l’île d’Yeu et a noué un partenariat avec un mareyeur, qui achète, filète, portionne et surgèle les merlus ainsi qu’avec France filière pêche pour le promouvoir avec le logo Pavillon France. « Connu, populaire, Français, et proposé à un tarif équivalent à une heure de Smic – un impératif pour l’enseigne –, le merlu a rencontré un succès immédiat », indique Joseph Goethals. S’il regrette que l’amont l’ait laissé tomber quand l’espèce s’est faite plus rare, il souligne vouloir « s’engager dans la durée, créer des partenariats de 15 ans comme avec les producteurs de saumon d’Alaska. Avec le surgelé, nous pouvons être là quand il y a des pics d’abondance. Bon an, mal an ». Reste à savoir qui peut profiter d’une valeur ajoutée créée grâce à de la visibilité. Pour Pierre Bergougnoux, expert des produits frais alimentaires en GMS, les producteurs doivent s’inspirer des filières fruits et légumes et se doter d’outils de transformation, en solo ou avec d’autres. « La valeur ajoutée n’est jamais dans les produits bruts », souligne-t-il.
Benoît LOBEZ
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