Difficile à transporter vivant, le roi des crustacés n’est souvent accessible dans l’Hexagone que cuit décongelé dans sa carapace ou décortiqué en conserves. « Même s’il y a toujours eu un marché de niche pour du cru congelé, indique Franck Paque, dirigeant de Freshpack, il est clair que sa présentation principale en cuit freinait sa prise en main par les chefs. Le cuit limite leur créativité. »
D’où l’idée, pour valoriser cette matière première de première qualité, d’« en démocratiser l’usage en cru » et décortiqué avec la technologie des hautes pressions, comme 5°Ouest a pu le faire avec son homard bleu. Un pari complexe à mettre en œuvre.
« La technologie de décorticage par hautes pressions s’utilise surtout sur des produits vivants, indique Alexis Taugé, fondateur de 5°Ouest, partenaire de Freshpack. Sur des crustacés congelés, bien souvent la chair colle à la carapace. » Un an de tests « et presque une tonne de King crabs d’origines et tailles variées », chiffre Franck Paque, ont été nécessaires pour identifier l’ensemble des paramètres permettant de décortiquer du crabe royal cru congelé bord.
L’origine russe et l’espèce, le Paralithodes camtchaticus, capturée au casier dans la mer de Barents et surgelée bord après abattage, se sont distinguées. « La pêcherie est très raisonnée. Toutes les femelles et les bêtes de moins de 6 kg sont relâchées. Elle ambitionne une certification MSC », glisse le dirigeant.
Secret de fabrication oblige, Franck Paque ne révèlera ni la taille des crabes royaux nécessaires au bon fonctionnement des process, ni le nom du partenaire russe avec lequel Freshpack s’engage sur des volumes au moment des deux mois de pêche autorisée. Le sourcing effectué, la mise au point du process idéal s’est poursuivie. Il a ainsi fallu trouver la bonne technique de décongélation des clusters qui seront glissés dans le tunnel à hautes pressions. Identifier les paramètres tels que la température ambiante, celle du produit ou de l’eau, ou encore la vitesse de descente en pression et la durée de la mise sous pression. « D’un crustacé à l’autre, ces paramètres diffèrent », précise Alexis Taugé.
Les points techniques validés, le décorticage, très manuel, a fait l’objet d’études. « Il faut beaucoup de rigueur pour enlever les cartilages sans faire de bouillie », rappelle Franck Paque. Avec l’aide d’Alexis Taugé, des fiches de procédures ont été établies et dix-huit personnes, habituées à travailler les crustacés, ont été formées pendant une semaine. Sécurité alimentaire oblige, et même si les hautes pressions ont un pouvoir bactéricide, il faut aller vite. Les uns s’occupent des pattes, les autres des pinces, les troisièmes se penchent sur les alvéoles. L’efficacité règne.
À peine décortiqués, les clusters sont reconstitués. Positionnés sur des feuilles, les ensembles de trois pattes, une pince et le contenu des alvéoles prennent la direction du tunnel de congélation IQF par cryogénie. La descente en température est rapide. Une fois congelé, le cluster sera réparti en 4 pochons, mis sous vide, dans des colis de 3,8 kg. Hors décongélation initiale des clusters, le process n’aura pas duré plus d’un quart d’heure.
Reste à le vendre. L’accueil des chefs comme des grossistes est bon pour cette innovation présentée au Sirha et qui fera une entrée mondiale dans les allées du Seafood Global Expo fin avril. « Nous avons doublé nos commandes de matière première pour la saison prochaine », donne comme indicateur de succès Franck Paque. Ame Haslé, le Plaza Athénée ou Marc Veyrat en ont déjà commandé et Brake comme d’autres grossistes espèrent le glisser dans leur catalogue. Des acteurs du caviar et des exportateurs commencent à s’y intéresser vivement.
Selon les circuits, le prix de vente ne sera pas le même. Mais « l’idée est de le positionner en deçà du homard bleu décortiqué cru », indique le responsable. Certains grossistes évoquaient un prix de commercialisation autour de 100 € le kilo. Un prix sans gâchis. « Avec le surgelé, nous avons une meilleure gestion du produit », souligne Marc Foucher, meilleur ouvrier de France et conseiller culinaire. Pas de casse comme avec du vivant et pas de perte liée à la carapace. Candidat au prix d’Élite, le produit a toutes ses chances pour obtenir un trophée.
Textes et photos : Céline ASTRUC
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