Du bureau de Kenmare Select (KS), inondé de lumière un beau jour de septembre irlandais, Cyprien Benoit mesure le temps passé depuis trois ans : « J’aurais pu continuer dans la finance ou faire carrière dans les organisations gouvernementales. Finalement, j’ai opté pour la reprise du fumoir de mon père ». Sacré pari de quitter le confort d’une capitale pour s’installer sur les hauteurs de l’estuaire où la mer pénètre en profondeur jusqu’à Kenmare. Vivante l’été lorsque le Kerry déborde de touristes, la petite ville change de rythme l’hiver. Excepté le fumoir qui voit son effectif doubler en fin d’année. « Une fois aux manettes, j’ai mesuré l’ampleur de la tâche. Il a fallu se réorganiser, affronter une conjoncture de prix élevés du saumon, mais l’entreprise évolue dans le bon sens et j’ai confiance dans l’équipe. »
À côté des ordinateurs qui occupent le fond de la pièce, une grande table ovale de dégustation et dans un coin, la petite cuisine bien équipée sert à tester de nouveaux produits. Ici, des passionnés cultivent les saveurs du saumon fumé, fidèles au principe du père de Cyprien, Rémy Benoit, chef français réputé et fondateur de KS. En quarante ans, l’entreprise s’est taillée une belle réputation en restauration et dans l’épicerie de luxe. « Le goût est un principe fondateur de la maison. Il résulte à la fois du type de fumaison et de la qualité de la matière première. Un bon saumon est un saumon qui nage dans le courant et qu’on a la possibilité de fumer très frais. Grâce à la proximité des élevages, nous sommes livrés deux fois par semaine. Le délai moyen entre l’abattage et le produit fini est d’une semaine », souligne Cyprien.
Approvisionné directement en saumon irlandais, KS se fait l’ambassadeur de l’aquaculture biologique. Loin de pouvoir rivaliser en volumes avec la Norvège, la salmoniculture irlandaise devrait atteindre 14 000 tonnes en 2014 dont plus de 80 % certifiés bio. « Le produit est plus cher à l’achat, c’est vrai, mais il présente un taux de gras moins élevé, autour de 10 %.Cela nous convient particulièrement. » Toujours dans l’optique de travailler des poissons équilibrés en gras, KS a élargi ses sources aux Féroé, où il achète via un trader, ainsi qu’en Islande mais sans intermédiaire. Dans tous les cas, Cyprien se félicite de travailler une matière rare : « L’Irlande, les Féroé et l’Islande cumulées pèsent 4 % de la production mondiale de saumon atlantique ».
Cette nuit, Sean Jones s’est levé à deux heures pour placer ses filets de saumon dans le fumoir. Un sacerdoce ? Possible ; le maître fumeur a surtout le souci de maîtriser chaque stade d’une fabrication exclusivement artisanale : filetage et parage soigneux du filet, salage au sel sec, rinçage et séchage had hoc avant le fumage à basse température et le tranchage manuel s’il y a lieu. « Il faut avoir des yeux partout, explique Sean, aussi bien à la réception des lots où l’on effectue une batterie de tests (listeria, E. coli, taux de lipides), qu’à l’étape du salage ou dans le fumoir pour vérifier l’évolution et la régularité du produit. » Son style se distingue par un fumage léger qui équilibre les saveurs du bois de chêne et celle du saumon frais, tout en maintenant une texture proche du sashimi.
Inutile de tenter le diable sur les marchés grand public, autres produits et guerre des prix…, KS cible les circuits haut de gamme. Plutôt que de tâtonner et disperser ses efforts, Cyprien s’appuie sur un partenaire exclusif en prise directe avec ses marchés à l’export : « Nos représentants gèrent à la fois la marque et la relation client. Pour Paris et la France, je travaille avec Kaviari, sélectionneur de produits de la mer de qualité. Sa parfaite connaissance des circuits de la restauration et des épiceries fines, en font un relais privilégié. »
Pas seulement pour distribuer une gamme de produit, Kaviari est aussi un tremplin qui permet à KS de créer des saveurs ou de nouvelles utilisations. En visite au fumoir, Stéphane Chauvelière, directeur commercial de Kaviari souligne « une convergence d’expérience avec Kenmare qui permet de développer de nouveaux marchés en restauration ».
Ce matin, Sean fait découvrir un panel de saumons d’origines différentes : Irlande, Islande, Féroé, Écosse, fumés et aromatisés de plusieurs façons. Les deux heures de dégustations suscitent critiques, suggestions et félicitations. À l’issue des tests, tout le monde est d’accord : la fumaison un peu plus marquée sied au saumon islandais. Une autre discussion animée porte sur la recette de saumon de Noël spécialement destinées aux boutiques fines parisiennes « Autour du saumon », entreprise cliente de Kaviari. Un simple réglage d’épices sur la proposition initiale du fumoir suffira à faire consensus.
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