Les eaux claires de l’archipel des îles Chausey, au large de Granville, se prêtent bien au bio. Le jusant y laisse apparaître les îlots entre lesquels se nichent des rangées de pieux. C’est là que les mytiliculteurs normands et bretons élèvent leurs moules de bouchot, au top de leur qualité en octobre. À La Vivière, en plein week-end du 15 août, tout le monde est sur le pont.
La Vivière Parcs : archipel des îles Chausey et baie du mont Saint-Michel. Atelier : Le Vivier-sur-Mer Sociétés : SCEA Dirigeants : Gilles Salardaine et Stéphanie Sevestre. Production : 850 tonnes de moules dont 600 à Chausey (STG et bio) et 250 en baie du mont Saint-Michel (AOP). Effectif : 20 personnes dont 8 aux Moulières de Chausey. |
Vite, il faut se presser de quitter le vieux quai en pierres de taille du Vivier-sur-Mer pour avoir assez d’eau pour emprunter le chenal. Une contrainte que n’ont pas les chalands amphibies se rendant sur les parcs d’à côté, dans la baie du mont Saint-Michel. Mais notre équipage prend le large. Son chaland de 21 mètres glisse entre les berges envasées. Puissant, spacieux, il a une capacité de 70 bacs, soit près de 25 tonnes de moules. Mais il est d’un gabarit trop envahissant et traîne dans son sillage un petit chaland plus apte à se faufiler dans les parcs, avec aussi sur son pont deux plates emboîtées comme des poupées russes : quatre bateaux en un. Après le dernier banc de sable et son phoque, habitué des lieux, place à deux heures de route, cap au nord, vers Chausey, l’archipel aux 52 îles à marée haute et jusqu’à 365 à marée basse. Une petite croisière sous les nuages laiteux qui filtrent le soleil. À bord, l’ambiance est tranquille, pas de stress. Ils sont quatre jeunes marins, entre 17 et 24 ans, dont deux sortent du lycée de la mer. Christian Chevalier, la cinquantaine, règne sur cette jeunesse tout en confiance et en sagesse. Il est associé à la famille Salardaine dans Les Moulières de Chausey, dont les moules bio sont vendues par La Vivière, quasi la même maison. Les premiers exploitants à Chausey étaient des pêcheurs de Granville qui complétaient leurs revenus. Le site compte désormais une dizaine de mytiliculteurs, des Normands et deux Bretons. La qualité des eaux du large, dans cette zone Natura 2000, se prête bien au bio (lire PDM n° 195). La Vivière y exploite trois parcelles, éparpillées entre les roches, que Christian Chevalier connaît par cœur : il a démarré sur ces parcs en 1985. « On pêchait les moules au couteau, on chargeait et on débarquait les mannes à la main… » Le confort a bien progressé avec les pêcheuses manœuvrées à la grue hydraulique. Mais pas de récolte en ce vendredi 16 août, il n’y a pas de vente le lendemain. Pour autant, le travail ne manque pas. De rares îlots attestent que nous sommes arrivés dans l’archipel. Mais où sont les bouchots ? À part les perches signalant les parcs, rien ne laisse encore deviner la présence des pieux en bois exotique hauts de 3 mètres. Nous avons de l’avance sur la marée. Patience… Christian Chevalier, lui, n’attend pas et plonge en repérage durant près d’une heure, profitant de la clarté des eaux pour observer la pousse et l’ampleur des prédations. Les goélands prennent leur part en haut des pieux et les araignées se servent par le bas tout l’été, relayées par les macreuses en octobre. Lorsque le boss refait surface, il a le plan de travail en tête et livre ses instructions. Entre-temps, le jusant a laissé émerger le haut des pieux. Mais avec un coefficient de 80, il ne faut pas s’attendre à fouler le sable de ses bottes, trop d’eau : le travail se fait embarqué. Première mission du jour : « Regarnir en nouvelins (naissain) les pieux qui en ont besoin. » Tout le monde s’affaire dans une mécanique bien huilée. Le chef d’orchestre est discret mais efficace. L’un prend les commandes de la grue, d’autres manient les chaînes pour mettre la barge à l’eau et la charger en naissain. L’embarcation légère est calée le long des pieux. Ça clapote dur et les marins ne sont pas trop de cinq pour maintenir la position et poser les boudins. Physique, mais ça n’empêche pas de fredonner. L’ensemencement reste mesuré : il faut une densité faible pour favoriser la croissance des moules. Au fur et à mesure de la pousse, le filet en coton les retenant se dégradera et les filets de catinage prendront la relève. C’est d’ailleurs la seconde mission du jour : enfiler des protections sur les bouchots épaissis pour empêcher les grappes de moules de se détacher. « On a déjà vu des gros dégâts avec des vents de noroît. » Sur un an d’élevage, quatre filets se succèdent. Ce plastique sera séparé des moules au dégrapage, à l’atelier, et finira en déchetterie. C’est parti pour une autre chorégraphie bien rythmée. Rien ne la perturbe à part un kitesurfeur qui s’aventure entre les lignes de bouchots et salue les marins, amusés. De grosses moules semblent prêtes à être récoltées, mais c’est trompeur : il faut encore laisser les grappes mûrir pour atteindre 25 % de chair. « Ça va monter jusqu’à 30 %. » Impeccable pour livrer Lille et sa grande braderie fin août puis pour la marée d’équinoxe. Le meilleur moment ? « En septembre-octobre. En janvier, ça redescend. » Mais pas de répit, « une fois la vente finie, on entretient les pieux, on en remet des neufs… ». Pour l’instant, le travail s’achève, car déjà le flot recouvre les bouchots. Et à 17 heures, le vent annoncé se lève. Retour au bateau amiral. « Ça va secouer… », prévient Christian Chevalier. Au début, les cailloux de Chausey nous protègent. Pas pour longtemps. Très vite, le navire à fond plat cogne sur les vagues et la mer nous prend pour des crêpes… Textes et photos : Anne CAILLET et Solène LE ROUX |
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