En cette fin novembre, la saison de la coquille Saint-Jacques bat son plein en Normandie. À Dieppe, dans l’atelier Coq Marée, une trentaine de personnes sont sur le pont depuis 5 heures du matin. Comme chaque jour du 1er octobre au 15 mai, elles décortiquent des tonnes de coquilles. Un savoir-faire célébré dans cet atelier depuis l’année 2000.
Exactement 650 mètres séparent Coq Marée, un atelier de décoquillage, conditionnement et commercialisation de noix de Saint-Jacques, de la criée dieppoise. Un emplacement parfait selon Pierre Stoven, qui dirige l’atelier d’une main de maître depuis sa reprise par l’armateur Le Garrec et le producteur-importateur Freshpack en 2020. « Cette proximité nous permet d’être réactifs sur l’achat de la marchandise. Elle garantit la fraîcheur du produit », explique le directeur entre deux coups de fil. À 9 heures du matin, il prend déjà les commandes du lendemain.
Chaque matin, vers 5 heures, Pierre Stoven se rend à la criée au moment de la vente. « Il faut être sur place, ça nous donne un avantage sur le choix des produits. On voit les lots qu’on sélectionne en fonction de la qualité », précise-t-il. La qualité, un aspect primordial qui a valu à la coquille normande son Label Rouge. Mais qu’est-ce qu’une bonne qualité ? Le directeur énumère : « La fraîcheur, la taille des noix, la présentation de la coquille, les zones de pêche, là où il y a du sable ou de la vase, de la bande côtière ou de la baie de Seine… » La plupart du temps, Coq Marée s’approvisionne auprès de « ses bateaux », les 13 coquillards de l’armement Favrou. Mais, selon la demande, l’atelier peut travailler les coquilles d’autres bateaux, achetées sur d’autres criées du littoral. Si sa capacité de production est de 25 tonnes de matière première par jour, les achats se font en fonction de la demande et du prix. Ce 28 novembre, 36 employés ouvriront 18 tonnes de coquilles. Contrairement aux années précédentes, la demande est compliquée cette saison. L’inflation est passée par là.
Un savoir-faire précieux
Une fois transportée de la criée dans un camion isotherme, la coquille est stockée dans une chambre froide dédiée où sont effectués de nouveaux contrôles de fraîcheur. Puis direction la salle de production. Ces tables en inox sont régulièrement alimentées en matière première. Devant chaque poste, un décortiqueur en tenue de travail (gare à ce qu’un cheveu ne dépasse pas de la charlotte !), couteau à la main. La plupart d’entre eux sont des femmes, appelées également « les énucléeuses ». Certaines d’entre elles ont 20 ans d’ancienneté dans l’entreprise, comme Rachel. À 45 ans, elle commence sa 22e saison chez Coq Marée. Que ferait-elle si l’atelier n’existait pas ? « Bonne question », répond la femme sans réduire la cadence. Clac, clac, clac… les coquilles vides tombent dans un bac à un rythme soutenu. Sa collègue d’en face, Cindy, ouvre entre 15 et 20 kilogrammes de coquilles par heure. Ses gestes sont rapides mais précis. « Quand on a le coup de main, ça va vite », constate-t-elle. Surtout que les décortiqueurs sont payés au rendement. « Tout est fait manuellement, ce qui préserve la qualité intrinsèque du muscle », explique Pierre Stoven. Il faut environ 8 kilogrammes de coquille pour 1 kilogramme de noix. La conception des postes de travail facilite le tri entre le plat et le creux de la coquille, la noix avec le corail, puis la barbe. Presque tout est valorisé.
Une production efficace
La noix est ensuite lavée. Pour plus de précision et un gain de temps, l’atelier s’est équipé en 2023 d’une machine de lavage industrielle. Le conditionnement à l’état frais se fait dans des caissettes en polystyrène de 2 ou 3 kilos, sous glace. Toutefois, près de 75 % de la production est surgelée, à destination des enseignes de retail spécialisées, comme Picard. Dans un atelier de surgélation, les noix avec ou sans corail (selon la demande et la saison) passent d’un tapis d'étalage à un tapis de surgélation où elles sont séparées à la main avant de passer à la surgélation IQF (Individually Quick Frozen). Elles atteignent une température inférieure à – 18 °C en 30 minutes. Afin de protéger la chair des noix de la déshydratation et des brûlures, de l’eau est pulvérisée sur le produit et forme une fine pellicule de glace. C’est ce qu’on appelle le glazing. Mais Pierre Stoven tient à préciser : « Nos noix sont vendues en glazing compensé. » En clair, le poids du glazing n’est pas inclus dans le poids net du sachet. Après un dernier contrôle visuel, les noix transformées en cailloux blancs sont enfermées dans des boîtes en carton de 15 kilos puis stockées dans deux chambres froides négatives.
Tandis que les décortiqueurs prennent une brève pause, dans un bâtiment voisin, les autres employés de la société s’affairent. Dans cet atelier des creux, on lave et calibre, à l’aide de machines, la partie creuse de la coquille. « Ils sont utilisés comme contenants alimentaires. On revalorise environ 80 % de tous les creux, mais leur nombre dépend de la demande », ajoute le directeur. Quant à la partie plate de la coquille, l’atelier participe à un projet de micronisation de la matière calcaire de la société Bioeconomy For Change, qui reste en phase de conception.
La machine est bien rodée. Mais dans un objectif de renouvellement de la flotte, « il est vital de se diversifier », souligne Antoine Le Garrec, directeur général du groupe éponyme, l’un des propriétaires de l’atelier. Les différentes possibilités sont « en réflexion », notamment en ce qui concerne l’export, dont le développement a été freiné par la crise sanitaire. L’atelier pense proposer le service de surgélation à d’autres espèces pour produire, par exemple, de la sardine en été. « La porte de la diversification n’est pas fermée. On reste attentif », confirme Pierre Stoven avant de décrocher un nouvel appel. La journée n’est pas encore finie.
Darianna MYSZKA