Presque aussi incontournable que la Bénédictine, Le Marché aux Poissons, sur la côte d’Albâtre, semble être un lieu de résistance au passé dans ce qui était autrefois le premier port morutier de France, Fécamp. Avec ses allures de concept store, cette poissonnerie est pourtant bien moderne.
Niché entre le musée des pêcheries de Fécamp et la criée au milieu du port, Le Marché aux Poissons est une institution en Seine-Maritime. Le large bâtiment voit chaque week-end une foule abondante et éclectique se presser devant ses étals, chaque client ayant un numéro et étant servi bruyamment. Soyons clairs, ce lieu, qui a eu les honneurs d’un article chez nos confrères du quotidien Le Monde en 2021, a une âme et surtout beaucoup de caractère. Si l’établissement commerce avec des restaurateurs en gros et semi-gros, sa principale activité reste son cœur de métier : la poissonnerie. « Il va falloir continuer à vendre du poisson mais aussi développer davantage la dégustation car Fécamp devient de plus en plus touristique », explique Nathalie Lecanu, la gérante. L’activité va pourtant déjà au-delà de la simple « poissonnerie » au sein de l’établissement qui propose des plateaux de fruits, du vin, de l’épicerie fine et même des produits dérivés, à la gloire de la Normandie et de l’enseigne. « L’idée générale est de devenir une espèce de concept store autour des produits de la mer et de m’adresser à toutes les clientèles, continue-t-elle. Cela doit aller du couple de Parisiens en week-end au retraité du coin qui vient acheter son maquereau quotidien. » Outre l’implantation locale, la force de l’entreprise fécampoise réside aussi dans ses prix, plutôt attractifs. « La poissonnerie n’est pas un métier en perdition si l’on sait se diversifier, estime Paul, l’un des vendeurs. Nos prix sont attractifs car nous achetons souvent en gros, contrairement à des plus petites poissonneries qui ne peuvent pas acheter 100 kilogrammes de maquereau, par exemple », continue le jeune homme, entre deux conseils à ses clients. Au moment de notre visite, fin septembre, c’était le rouget-barbet qui tenait le haut de l’affiche (les petits étant commercialisés 7 euros/kg) ainsi que « l’encornet friture ». « Dès le démarrage de la saison, la coquille écrase tout le reste, regrette Paul, qui aime aussi tester des recettes, comme ses excellentes (et approuvées par la rédaction de PDM) noix de Saint-Jacques fumées. Quand c’est la saison, le hareng se vend évidemment très bien ici, qu’il soit grillé ou mariné. Lors de la fête du hareng (chaque dernier week-end de novembre, NDLR), nous en vendons des quantités pas possible », sourit-il. Difficile de faire plus fécampois comme lieu, entre traditions et innovations.
Une bosseuse avec du carcatère
Issue d’une famille d’armateurs de Fécamp et fille d’un père mareyeur, Nathalie Lecanu a commencé à travailler à ses côtés dès 1991, après une scolarité compliquée en collège et lycée privés. « J’ai perdu ma mère très jeune et mon adolescence fut chaotique dans ces établissements scolaires. Je me suis retrouvée sur le carreau à 17 ans, pour faire simple, confie-t-elle. Après mon arrivée auprès de mon père, ma sœur et mon frère nous ont ensuite rejoints. Puis j’ai évolué différemment… à l’image du marché. J’aime voyager et m’inspirer de ce que je vois ailleurs. » Quand la société a été créée en 2004, avec le soutien de son grand-père, le gros et la vente au grand public ont été la priorité. « Nous achetons notre marchandise en criée mais mes techniques de vente sont parfois similaires à celles de la grande surface, avec laquelle j’ai collaboré par le passé en tant que fournisseur », concède-t-elle. Une femme de 51 ans à la barre d’une telle entreprise,
cela force l’admiration jusqu’à ses employés, notamment au sujet de sa vision du marché et de ses prévisions sur les stocks. « Elle a clairement le compas dans l’œil et sent bien les choses, nous glisse l’un d’eux. La partie dégustation, c’est à elle qu’on la doit et c’est un vrai succès. » Malgré le dynamisme de son entreprise, un projet d’envergure a failli mettre fin au Marché aux Poissons, mais c’était sans compter sur la ténacité de sa gérante. « Nous avons récemment acheté les murs pour nous protéger d’un projet de la mairie de Fécamp qui souhaitait nous remplacer par un rond-point en vue de la construction d’une thalassothérapie, détaille-t-elle. La municipalité a finalement cédé face à notre fréquentation mais il a fallu se défendre juridiquement pour rester ici ! » Difficile d’imaginer le port de Fécamp amputé d’une telle poissonnerie, d’autant que la ville n’en compte que trois, en plus de celles des grandes surfaces. « J’ai une belle équipe avec moi et c’est une réussite qui récompense beaucoup de travail, continue Nathalie Lecanu. Il faut toujours se remettre en question et essayer d’évoluer en testant beaucoup, quitte à se tromper. J’aime laisser mes collaborateurs essayer des choses, comme des recettes. L’idée de base en créant cette société était de se diversifier et surtout ne pas être dépendant de la grande distribution. » Une âme et du caractère, décidément.
Guy PICHARD