L’ode à l’amitié du chanteur Georges Brassens a inspiré deux copains pour nommer leur entreprise. Ils n’ont pourtant pas navigué en pères peinards pour mettre à flot leur poissonnerie-restaurant.
La veille de Noël 2019, Pierre Bernhardt [à droite] et Thomas Mazar obtiennent in extremis leur prêt bancaire. Dès janvier 2020, ils engagent les travaux d’aménagement d’un local commercial tout neuf, loué depuis quelques mois, déniché au coeur de Port-Marianne, le nouveau quartier résidentiel et administratif de Montpellier. Grâce à leur décennie d’expériences antérieures, ces trentenaires optimisent l’agencement d’une surface nue, traversée d’une lumière naturelle. Une cuisine ouverte va relier la poissonnerie – l’espace d’accueil – à la petite salle de restaurant. Hélas, la crise sanitaire et ses restrictions bouleversent le calendrier initial, et si le premier étal est enfin dressé le 10 juin 2020, la partie restauration ne prendra vraiment son envol qu’à l’été 2021. Mais les deux cogérants ont vu juste, et la poissonnerie attire très vite la clientèle espérée : le budget prévisionnel est bien respecté. D’emblée, l’offre s’affiche à 80 % d’origine locale, avec la diversité des poissons du jour du golfe de Lion, dont l’emblématique thon rouge de ligne, en provenance des criées de Sète et du Grau-du-Roi, complémentaires. Des achats en direct avec des pêcheurs de petits métiers et des ostréiculteurs de Thau complètent le sourcing méditerranéen.
Mericq assure la fourniture des espèces dites de « l’océan », à savoir de l’Atlantique, avec une sélection de jolis filets de poissons blancs (cabillaud, églefin, sébaste, etc.), de crustacés et coquillages comme les crevettes tropicales, les bulots, moules de bouchot, et une autre valeur sûre indispensable : le saumon écossais Label rouge. La Saint-Jacques provient de Port-en-Bessin, par le groupement des poissonniers artisans Corail. Au déjeuner, le jeune chef Étienne peut cuisiner le produit brut, choisi à l’étal par le client, ou proposer un plat du jour plus abordable. La boutique, en rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation, s’ouvre sur une petite place piétonne arborée. Cette terrasse peut se transformer dès les beaux jours en guinguette-bar à huître, pour des « after-work » du jeudi et vendredi, avec assiettes partagées de coquillages, crustacés et planches de tapas marins accompagnés de vins nature. Des sardinades se sont tenues en nocturne. Cette dimension de convivialité est essentielle pour les deux patrons, épicuriens et avides de partager leur passion des produits de la mer. La bonne allure économique de l’affaire les conforte dans cette voie originale
Deux itinéraires en chassé-croisé, avant de s'associer
Originaire de Haute-Savoie, Thomas Mazar s’est pris de passion, tout minot, pour des pêcheurs français du lac Léman, au point d’y passer dès l’âge de 12 ans tous ses étés. Pendant son BTS aquacole au lycée de la Canourgue (Lozère), il rencontre un autre passionné de nature, de poissons et de mer, Pierre Bernhardt. Diplômés, les deux larrons de 20 ans envisagent un premier projet professionnel en commun : devenir pêcheurs sur le Léman. L’évolution à la baisse des ressources du lac les en dissuade, et c’est alors un grand jeu de piste très formateur qui s’engage, sans jamais se perdre de vue. Grâce à Thomas, Pierre va d’abord être ouvrier pêcheur, oeuvrant deux saisons sur le grand lac alpin. Puis le voilà bûcheron, avant de revenir vers la mer à Saint-Jean-de-Luz, et de travailler en élevage de truite…
Thomas va quant à lui occuper plusieurs postes d’adjoint en rayon marée de grandes surfaces d’Occitanie, où Pierre va le rejoindre. Les deux compères travaillent ensemble, pendant deux ans, à l’Intermarché de Saint-Gely, près de Montpellier. Leur route se sépare à nouveau : Thomas s’évade pendant trois ans à Mayotte, où il est éco-guide de pêche au gros, et poissonnier, pendant que Pierre s’active aux halles gourmandes de Fou du Sud, de la Maison Sud de France, à Pérols.
Il crée et gère le stand de poissonnerie de Florent Tarbouriech, avec une offre de restauration. L’espace change de concept, Pierre se retire, et Thomas quitte aussi son rayon marée d’un magasin Coop de Genève. Le duo de choc se reconstitue, et lance enfin sa propre entreprise à Montpellier. Mûrement réfléchi, Les Poissons d’Abord intègre le meilleur des expériences accumulées. Pierre est déjà très à l’aise aux achats en criée, et Thomas va aussi adorer cette ambiance au plus près des pêcheurs, mareyeurs et autres acteurs de la pêche languedocienne. Étienne, un jeune chef très inventif, va rejoindre l’aventure dès l’ouverture, puis Arnaud, ex-collègue de Pierre à Fou du Sud, et enfin Dora, arrivent à la rescousse : la dream team, avec l’accent du sud !
Reportage : Lionel Flageul