Moules AOP : sueurs froides sur le début de saison

Le 27/10/2022 à 8:00 par La rédaction

Malgré une ouverture très tardive due au climat sec, la saison de l’AOP « Moules de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel » prend des couleurs depuis septembre. Embarquement dans la baie le temps d’une marée avec la famille Chevalier, l’une des fondatrices-actionnaires de Mytilimer.

La forêt de Brocéliande brûle ce vendredi 12 août, après la dévastation des monts d’Arrée en juillet. À la radio, un producteur de Salers annonce la suspension temporaire de l’AOP (appellation d’origine protégée) pour ce fromage auvergnat, faute de pâturages pour les vaches. La situation des boucholeurs de la baie du Mont-Saint-Michel n’est certes pas aussi critique au cœur de cet été de tous les dangers climatiques, mais une certaine inquiétude demeure dans la zone portuaire du Vivier-sur-Mer. L’ouverture officielle de la saison de leur moule labellisée n’a été votée que la veille par le comité AOP, soit deux semaines en retard par rapport à une saison « normale ». Le consommateur qui ne jure que par l’edulis AOP peut donc en trouver sur les étals à partir de ce 12 août. Leur taux de chair est enfin parvenu aux 25 % minimum, avec un taux de glucides à 4 % et une taille de coquille de 4 centimètres minimum sur au moins 80 % du lot. L’insuffisance en plancton liée à la sécheresse explique le retard de croissance.

« Actuellement on est à moins 40 % de ventes pour nos moules de la baie. Ce que l’on a vendu pour l’instant l’a surtout été en STG (spécialité traditionnelle garantie, 21,86 % de chair minimum et épaisseur supérieure ou égale à 1,2 centimètre sur au moins 95 % du lot, NDLR), et le différentiel de prix est important », déplore Alain Chevalier le 12 août, sur le chemin menant aux concessions de la zone est de la baie, dotée d’un estran immense. S’il avoue avoir un peu levé le pied, ce retraité hyperactif de 65 ans est, cet après-midi-là, à bord de la barge amphibie La Marinière, aux côtés de son fils cadet Geoffrey. Ils rejoignent Patrick, le frère d’Alain, déjà à l’œuvre sur les bouchots, avec Amandine, sa fille.

Les deux cousins, la sixième génération des Chevalier mytiliculteurs, sont les cogérants de la société civile La Marinière, rachetée à leurs parents en 2021, avec Jordan, le fils aîné d’Alain. Depuis 2011, ce dernier dirige, au Croisic, Liorzhou Ar Mor (« les jardins de la mer », en breton), qui exploite deux concessions (85 hectares) de moules edulis sur filière, à l’île Dumet et à Houat. La famille Chevalier est majoritaire dans l’actionnariat de Liorzhou, qui compte entre autres la famille Beaulieu et Mytilimer. Avec leurs 7 kilomètres de bouchots dans la baie du Mont-Saint-Michel, 3 kilomètres dans la baie de la Fresnaye (Côtes-d’Armor) et des bouchots d’une capacité de 600 tonnes dans les Hauts-de-France (société La Bouchot des deux Caps), la famille Chevalier s’est très bien développée et pèse lourd. Yvon Chevalier, le père d’Alain et Patrick, est arrivé au Vivier-sur-Mer en 1964, durant la deuxième grosse vague d’émigration de Charentais en terre bretonne, initiée en 1954. On naît dans un filet de catinage chez les Chevalier : à chaque génération une partie des enfants s’engage dans le métier dès l’adolescence. Cette famille de bosseurs acharnés est aussi à l’origine de la création de Mytilimer, en 2003, avec les Beaulieu ainsi que trois autres familles de mytiliculteurs du Vivier. Christophe Le Bihan, le directeur général de Mytilimer, est le sixième actionnaire de la SAS, passée de 3 à plus de 150 salariés en moins de 20 ans, filiales comprises.

La garniture des pieux avec les cordes de naissain s’opère dans une course contre la montre perpétuelle avec la marée. Avec un taux d’ensemencement limité entre 55 et 65 % pour respecter la capacité trophique de la baie, les 248 kilomètres de bouchots produisent bon an mal an entre 10 000 et 12 000 tonnes de moules, dont près de 90 % sont vendues en AOP. Alain Chevalier est persuadé que cette gestion collective raisonnée de l’exploitation explique en bonne partie l’absence de mortalités massives qu’ont subies d’autres bassins les années passées. « Depuis août, la situation s’améliore avec les pluies et le temps chaud. On est entre 29 et 31 % de taux de chair de belle couleur, un cru exceptionnel gustativement parlant. Si l’automne est doux, avec des pluies régulières, on finira à 35 % avec des volumes corrects. Une fois de plus, on a eu raison d’attendre en août, pour ne pas faucher ce super blé en herbe », résume-t-il mi-septembre, rassuré.

C’est aussi le sentiment d’Antoine Prévost, le directeur commercial, marketing et communication de Mytilimer, dont l’usine de conditionnement est située à Cancale, à quelques kilomètres du Vivier. Grâce au sourcing diversifié des différents bassins, du nord de la Normandie à Charron via la baie du Mont-Saint-Michel, la baie de Saint-Brieuc et Pénestin, la saison s’étale d’avril à février. La segmentation qualitative de l’offre permet de répondre à tous les marchés avec un meilleur prix moyen, du hard-discounter à la poissonnerie haut de gamme. La moule, en vivant, assure la moitié des 60 millions d’euros du CA consolidé de l’entreprise. Début novembre, sera posée la première pierre de l’usine Kerbone sur près de 4 hectares au Vauhariot. Une réalisation ambitieuse qui vise la neutralité carbone pour un budget de 20 millions d’euros, dont 3,5 sont dédiés au matériel et à l’unité de valorisation des petites moules par hydrolyse enzymatique. Nul doute que la famille Chevalier sera au premier rang !

 

Lionel FLAGEUL

 

Retrouvez l'intégralité des photos du reportage dans le magazine Produits de la mer n°215

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn
  • More Networks
Copy link
Powered by Social Snap