Après le Covid et le Brexit, c’est le réchauffement climatique qui a fait parler de lui en 2022. Si quasiment seule la filière du bulot est pour l’instant concernée, son prix de vente a compensé pour les exploitants. Mais la hausse de la température semblant inexorable, l’avenir de la deuxième espèce la plus pêchée dans la région inquiète.
Avec plus de 600 kilomètres de littoral qui s’étendent du Tréport à Granville, la Normandie se place comme la deuxième région de France dans le secteur halieutique et la première en ce qui concerne la pêche aux coquillages. Logiquement, les deux premières espèces capturées en mer par les 1 600 marins pêcheurs que compte la région sont deux coquillages aux fortunes diverses. D’année en année, la coquille Saint-Jacques, tout d’abord, bat des records de quantité. Les débarques normandes pèsent 70 % de la production française de ce fameux coquillage. Ainsi, la campagne 2022-2023 est estimée à 40 000 tonnes, soit 10 000 supplémentaires par rapport à l’année dernière, la production ayant été multipliée par quatre ou cinq en cinq ans en Normandie ! Une augmentation qui va amener les professionnels à manquer de superlatifs pour décrire leur saison, d’autant que la ressource est tout aussi abondante, l’Ifremer ayant chiffré à 105 000 tonnes la biomasse totale de l’espèce, dont 85 000 tonnes pour le seul gisement de la baie de Seine. Dernier point notable, la coquille Saint-Jacques Label Rouge est plébiscitée par le consommateur, avec plus de 3 000 tonnes passées en criées. En comptabilisant les ventes hors criée, la coquille labellisée pourrait représenter un quart du total de pêche. De la quantité et de la qualité donc !
Annus horribilis en revanche pour le bulot. Malgré des prix de vente record, le gastéropode inquiète grandement pour sa filière de pêche, voire même pour la survie de l’espèce. La forte sécheresse de l’été 2022 et ses chaleurs inédites ont décimé l’animal. L’an dernier, la criée de Granville a vu ses quantités de bulots capturés fortement chuter, elle qui est pourtant la première de France sur ce secteur. En août 2022, 14 tonnes du coquillage ont été débarquées, contre 62 tonnes l’année précédente ! Si la quantité globale en 2022 sur les criées normandes ne reflète pas une chute spectaculaire (2 808 tonnes en 2022, contre 3 170 tonnes en 2021), elle inquiète tout de même. « Que le bulot perde 15 % sur une année c’est déjà beaucoup, surtout après une année précédente qui n’était pas fastueuse, analyse Arnauld Manner, directeur de Normandie Fraîcheur Mer. Depuis 2019, nous sommes sur une baisse de l’ordre de 40 %, en incluant le hors criée. » Étonnamment, la rareté du mollusque a fait grimper son prix de vente en flèche, au point qu’il a dépassé celui de la coquille Saint-Jacques ! Si ce tarif a soulagé l’ensemble de la filière, de nouveaux quotas ont été mis en place pour sauvegarder l’espèce car même son taux de chair a baissé. « Il y a de réelles craintes car les répercussions de l’été 2022 se verront dans 4 ans, continue Arnauld Manner. Si de telles années s’enchaînent, c’est toute la filière qui peut être remise en cause, des pêcheurs jusqu’aux transformateurs qui les cuisent. » Au vu des problématiques que rencontre la production de moules au large de Granville, les problèmes des produits de la mer normands semblent se concentrer autour de la cité corsaire…
Plus globalement, du côté des poissons normands les prix ont été soutenus tout au long de l’année, à l’image du marché mondial. Si le Brexit a semblé dans un premier temps digéré, le Royaume-Uni paraît avoir des problèmes de logistique persistants à la frontière et cela doit avoir un impact sur sa capacité à exporter en Europe et surtout en France. Quant au plan de sortie de flotte qui saigne d’autres régions comme la Bretagne, la Normandie est globalement épargnée en raison de la taille moyenne de ses 600 bateaux de pêche artisanale, essentiellement inférieure à 16 mètres. Parmi les 80 espèces différentes pêchées dans la région, deux d’entre elles ont une évolution notable en 2022 : les céphalopodes et les homards. Pour la première catégorie, les captures d’encornets et de seiches ont par exemple plus que doublé en un an, en chiffres criées. « Pendant leur cycle de vie fort, il y a pour ces espèces un phénomène de pêche intensifiée, détaille Arnauld Manner. Ensuite, les volumes diminuent et les bateaux s’en désintéressent, ce qui permet au céphalopode de reconstituer son stock. » Pour le homard, depuis trois ans les volumes pêchés ont augmenté d’environ 15 %, avec un prix moyen très haut (28 euros en criée). « En Normandie, depuis que nous avons obtenu le label MSC, la dynamique est réelle, se félicite Arnauld Manner. Cela peut s’expliquer en grande partie par le Brexit, ajouté à des coûts de transport à l’échelle internationale de plus en plus importants. Cela crée donc un effet d’entraînement pour les produits français », conclut-il.
Guy PICHARD