Le job étudiant initial s’est transformé en métier-passion. Après une douzaine d’années passées en tant que salarié en poissonnerie, le Francilien et néo-Breton Paul Lienne a ouvert son propre commerce dédié à la pêche côtière locale à l’été 2023, en pays Bigouden.
La première discothèque du pays Bigouden a ouvert dès 1962 à Loctudy, à l’époque port de pêche en pleine ascension et commune du littoral sud-finistérien avec une fréquentation estivale massive. Les commerces locaux bénéficient toujours d’une forte activité saisonnière, avec un taux de résidences secondaires frôlant les 50 %.
Ainsi, la première quinzaine d’août a été très intense à la poissonnerie Paul Ar Morgazh, « Paul le poulpe » en breton. Paul (Lienne à l’état civil) a assuré son deuxième été, en belle progression par rapport à sa première saison estivale de 2023. En ce samedi 17 août ensoleillé, un flot soutenu de clients en short, tongs ou robe légère défile dans la grande salle de vente, très lumineuse, du bâtiment qui abritait une activité duale de mareyage et de poissonnerie. Des touristes certes, dont certains Parisiens éberlués par les prix très raisonnables pratiqués ici, pour des poissons et crustacés du jour essentiellement côtiers, achetés par Paul dès 5 heures 30 à la criée du port, à moins de 100 mètres de la boutique. Mais il y a aussi des locaux, dont des Quimpérois en week-end, de plus en plus attirés par cette nouvelle poissonnerie du port, après la fermeture début 2023 de celle de Steïr Marée et de celle, ouverte l’été, des Viviers de Loctudy. Ce commerce de proximité ouvre toute l’année, avec les mêmes prix, les matins et fins d’après-midi (de 16 à 19 heures), du mardi au dimanche matin.
Lorsqu’il a repris ce fond de commerce poissonnerie à Steïr Marée et loué le bâtiment à la CCIMBO (chambre de commerce et d’industrie métropolitaine de Bretagne Ouest), à partir de juillet 2023, la pérennité de la vente unique du matin de la criée de Loctudy était sur la sellette. Naguère 5e criée française, alimentée par une flotille conséquente de près de 50 hauturiers et côtiers – surtout chalutiers – sans compter une pléiade de canots, Loctudy, déficitaire, pointait à la 24e place, sur 34 en 2023. Les plans de sortie successifs ont décimé la flotte du sud de la Bretagne, Loctudy étant particulièrement touchée depuis les années 1990, avec encore quatre chalutiers hauturiers partis à la casse en 2023, dans le cadre du PAI (plan d’accompagnement individuel). Mais au vu de la mobilisation de l’interprofession, la vente a été maintenue. Paul Ar Morgazh participe de cette nouvelle dynamique portuaire : c’est la poissonnerie qui propose « du beau, du bon, du Loctudy ! », selon le credo de son gérant, Paul, inamovible casquette de marin portée visière à l’envers, comme sur son logo.
De la géo au poisson breton
Lorsqu’il a trouvé, par hasard, un petit job pendant les vacances de Noël au rayon marée du supermarché de sa ville natale, dans les Yvelines, Paul Lienne ne connaissait pas grand-chose aux produits de la mer. Il aimait juste manger langoustines, sardines et lotte, pendant les vacances d’été, passées depuis l’enfance à Saint-Guénolé, où sa famille avait acquis une maison. Il voulait juste se faire un peu d’argent pour financer ses études. Alors va pour faire des plateaux de fruits de mer assez basiques.
Mais ce premier contact lui plaît : l’ambiance est bonne, aussi il propose au chef de rayon de le rappeler pour les week-ends. Des contrats de 10, puis 15, puis 20 heures s’enchaînent, bientôt un mi-temps et, son master de géographie en poche, le jeune homme décide de débuter, à part entière, une carrière de poissonnier. Il a 23 ans et du plaisir à parer, fileter, bien présenter la marchandise et conseiller de mieux en mieux la clientèle. Le géographe qu’il est, curieux, apprend vite : d’où vient le poisson, comment est-il pêché, comment le préparer de différentes façons ? Devenu second puis responsable du rayon, il gère les approvisionnements et est en relation avec des mareyeurs bigoudens. Un beau jour, l’appel de la Bretagne est le plus fort et même s’il faut revenir à la case employé, il accepte un poste au rayon marée de l’Intermarché de Pont-l’Abbé : le voilà enfin néo-Breton, la région de son cœur, où il rêvait de vivre depuis longtemps.
Il poursuit son parcours bigouden dans les poissonneries Furic du Guilvinec et de Saint-Guénolé, puis chez l’artisan Marvin Quéré, à Plozevet, dont il retiendra, entre autres, la présentation de l’étal en bacs de criée, qui accroche bien le regard. Il est fin prêt à se mettre à son compte lorsqu’il déniche, en 2023, le bâtiment, vide depuis peu, de Steïr Marée, sur les quais de Loctudy. Il est bien accueilli par la nouvelle association interprofessionnelle du port, qui ne se résout pas au déclin du port et fait feu de tout bois.
Mettre en avant les produits de la pêche côtière et le savoir-faire local, participer activement à l’attractivité retrouvée du port de Loctudy, tel est son projet. C’est bien engagé, avec un prévisionnel largement atteint. La partie est pourtant loin d’être aisée, avec un rude concurrent local, le rayon marée de la plus grande surface de Pont-l’Abbé, leader historique du secteur. Mais ils sont de plus en plus nombreux à préférer la quiétude qui règne chez Paul et son étal resplendissant.
Lionel FLAGEUL